Jean-Daniel Guyot : "Nous avons besoin de faire confiance aux clients"
Créée en 2020 et dédiée aux PME/ETI à partir d'un million de chiffre d'affaires, Memo Bank est une banque française indépendante qui s'investit dans le service client. Son CEO et fondateur, Jean-Daniel Guyot, nous explique cette "obsession", dans un secteur en quête de repères.

En chiffres, que représente Memo Bank aujourd'hui ?
Notre objectif est de simplifier le quotidien financier des PME européennes. En 2025, nous avons un peu plus de 650 clients (pour 170 000 PME en France en 2022, NDLR), et nous avons fait 5,5 millions de produit net bancaire (PNB) en 2024, contre 4 millions en 2023. Nous réalisons une progression constante année après année, et nous allons par ailleurs publier notre rapport d'ici quelques semaines. Certes, il y a moins de rémunérations des dépôts, mais nous restons en croissance assez forte, avec à peu près 10 millions de revenus sur 2024.
Dans votre approche du service client, vous insistez beaucoup sur la relation de "confiance". Pourquoi ?
De manière générale, tout commerce ne se fait que grâce à un lien de confiance. Peu importe la raison pour laquelle nous payons pour un service ; il y a un sujet de confiance. Si vous allez dans une boulangerie la première fois, et que le pain n'est pas bon ou que la personne n'est pas agréable, peu importe la raison de la mauvaise expérience, vous n'allez pas y retourner. Si jamais vous achetez votre pain tous les dimanches au même endroit, et qu'au bout de deux ans, vous trouvez qu'il y a eu un problème avec le pain, vous n'allez pas casser cette relation, parce que le lien que vous avez tissé est fort, et plus fort qu'au début. Nous sommes des animaux sociaux que cela soit dans le commerce ou dans la vie de tous les jours. Mon constat, c'est qu'avec Internet et les nouvelles technologies, nous avons fait un mauvais calcul, en pensant que nous n'avions plus forcément besoin de ce lien social, avec une distinction entre le monde du physique et celui d'Internet. Résultat, nous avons eu des générations de services qui n'étaient pas de bonne qualité, sans pouvoir différenciant.
Lors de ma première expérience, qui s'appelait "Captain Train", nous avons mis l'accent sur le sujet de la relation client, car il s'agissait d'un marché avec beaucoup d'après-vente. Dans le ticketing, c'est 15 % d'après-vente : quand nous vendons 100 billets, il y en a 15 qui reviennent. Il faut donc beaucoup d'énergie pour transformer en vos plus grands fans des gens qui eux-mêmes, parfois, ont ces réflexes déshumanisés. Captain Train a réussi à le faire en réinvestissant dans l'outillage autour de ce lien. Avec Jonathan Lefèvre, responsable de l'expérience client de Captain Train, nous avons écrit un livre sur cette expérience : L'obsession du service client : Les secrets d'une start-up qui a tout misé sur l'expérience client (éditions Dunod, 2018. 272 pages).
Concrètement, comment cette confiance s'opère avec MemoBank ?
De manière générale, la banque, c'est de la confiance. Mais avec des entreprises, nous agissons vraiment comme des partenaires : nous sommes aux côtés des dirigeants, des DAF, des équipes financières, etc., pour leur apporter le meilleur service possible. D'une part, il y a les moments du quotidien ("j'ai perdu ma carte", "je n'arrive pas à faire peut-être une telle chose") qu'on traite avec notre service client. Mais il y a aussi un autre côté : "j'ai ce projet de création de valeur", "j'ai envie de racheter cette boîte", "j'ai envie de passer ma boîte à ma fille", etc. La banque est l'un des rares métiers où cela va dans les deux sens : il faut que le client nous fasse confiance, mais nous avons aussi besoin de pouvoir faire confiance au client. Parce que nous lui vendons de l'argent, d'une certaine façon. Cette relation passe par beaucoup d'efforts et énormément d'outillage. C'est vraiment notre créneau.
Dans la banque, quelles sont les principales difficultés en termes de relation client que vous observez ?
Notre constat pour le secteur est que tout le monde se sentait perdant. Nous avons interviewé énormément de CFO, de direction et d'équipe financière, et tous nous ont dit : "Je ne sais plus qui est mon banquier. J'ai des outils, mais je n'ai plus la relation humaine, et plus personne pour m'accompagner". Du côté des banquiers aussi, nous avons constaté une énorme frustration : "Je ne peux plus faire mon métier comme avant." Des gens qui étaient là depuis 10, 15 ans qui disaient "là aujourd'hui, je passe 90 % de mon temps à faire de la conformité, à utiliser des outils qui ne marchent pas ensemble, qui ne synchronisent pas, et je n'ai plus le temps de m'occuper des clients". Avec Memo bank, nous fournissons au client un service moderne et axé sur la relation client, mais aussi côté banquier. En fait, nous n'avons pas beaucoup de difficultés à recruter, puisque les banquiers sont assez frustrés de ne pas pouvoir faire leur métier. Quand nous leur proposons ça, ils se disent "enfin, je peux enfin refaire mon métier et me reconcentrer sur mes clients et pas sur des systèmes des années 1980".
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Selon les chiffres de Bloomberg, le déploiement des chatbots dans le secteur bancaire devrait supprimer 200 000 postes dans les 5 prochaines années. Cela ne vous inquiète pas, et pourquoi ?
Non, tout simplement parce que nous utilisons l'IA pour aller plus vite, mais sans enlever les humains. Nous les rendons juste beaucoup plus performants. En tant qu'ingénieur informatique de formation, je m'intéresse énormément à ces questions-là. Ce que tout le monde s'accorde à dire, c'est qu'il ne faut pas avoir peur des IA ; il faut surtout avoir peur des humains qui savent mal utiliser les IA. Notre méthode doit permettre à tous nos employés, que ce soit côté "sales", relations clients, opérations, de manière générale, d'être équipés avec les meilleurs outils pour qu'ils puissent être plus rapides et plus efficaces avec nos clients.
Pourquoi ne mettez-vous en avant quasiment que des PME ?
Parce que nous ne travaillons qu'avec elles. Nous avons identifié le segment des PME comme celui où il n'y avait pas eu d'innovation sur les 25 dernières années. Elles sont souvent beaucoup moins médiatisées que les TPE, que ce soit pour les banques en B2B ou le grand public en B2C. Dans les spots publicitaires à la télé, ce sont surtout des pubs pour les grands groupes, mais aussi pour ce que nous appelons "les pros de la banque" : les petits, les artisans, les petites entreprises. C'est un segment assez bien servi, avec beaucoup d'innovations, d'acteurs et de challenges. Pour les PME, en comparaison, il y a très peu de ressources. En fait, elles ont un peu tous les problèmes : elles ont à la fois toutes les problématiques des grandes entreprises (trésorerie, paiement, crédit, etc.)... Tout en rapportant moins. Pour une banque, il est plus simple de se concentrer sur les gros clients qui apportent beaucoup, plutôt que sur le segment des PME, où il faut mettre de l'humain, des outils, de l'innovation, tout en ne gagnant pas autant. Avec Memobank, nous avons fait le choix inverse. Premièrement, les PME représentent un tiers de la valeur ajoutée française (et c'est vrai aussi à l'échelle européenne). Deuxièmement, nous sommes capables de mieux les servir. Mais pour ce faire, il faut recréer une banque de zéro à la fois sur la partie réglementaire (le pur métier de banquier) et sur la partie technologique, pour mieux les outiller.
Quels sont aujourd'hui les besoins des directions financières des PME ?
Aujourd'hui nous avons deux grands problèmes à résoudre (et que l'on résout). Le premier, il a trait au paiement. Historiquement, c'est un peu la dernière roue du carrosse pour les PME. Ce n'est pas un sujet que les banquiers maîtrisent complètement. Autant il est aisé d'aller voir son banquier pour demander un crédit, autant lui parler de soucis d'automatisation ou de paiement, c'est plus compliqué, il va être moins à l'aise pour répondre. Le sujet des paiements est pourtant fondamental aujourd'hui pour les PME. Pourquoi ? Parce que nous sommes passés d'un monde qui fonctionnait en "temps postal" - "si tout prend 2-3 jours, ce n'est pas grave" - à un monde où tout fonctionne en temps réel. En 2025, si je paye un fournisseur en République tchèque, lui attend d'avoir le paiement pour commencer à travailler. Si le paiement met plus de 3 jours, mes petits concurrents qui ont payé plus vite vont se placer avant moi dans la file de production. On pense souvent que le but du jeu pour une PME revient à être payé le plus vite possible. Mais leur plus gros problème aujourd'hui est d'être capable de payer vite. Il y a un vrai sujet de passage au temps réel, à l'instantané. Or, nous sommes la seule banque en France à proposer du paiement instantané en illimité et sans plafond.
La seconde problématique relative au paiement est liée à tout ce qui a trait à l'automatisation. Comment je peux introduire du code, au lieu de mettre des humains face à des tâches qui sont complètement rébarbatives et qui n'apportent aucune valeur ajoutée ? Comment coder la banque, et faire en sorte que toute ma chaîne de paiement soit automatisée ? Il s'agit vraiment du plus gros sujet auquel elles sont confrontées. Enfin, reste toute la gestion de la trésorerie, le "cash management". Comment faire en sorte de passer le moins de temps possible sur ce sujet, en tant que CFO ou en tant qu'équipe financière, tout profitant d'une rentabilité pour mes dépôts ? Il s'agit de beaux défis à relever...
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