Dominique Russo : "Nos sociétaires ne veulent pas parler à des chatbots"
La Macif vient de fêter ses 65 ans. Comptant 6,37 millions de sociétaires, adhérents ou clients et 6,957 milliards d'euros de chiffre d'affaires, elle ne cesse d'innover pour une relation client plus inclusive et humaine. Entretien avec Dominique Russo, Directeur de l'Expérience clients et sociétaires de la Macif.

Plus l'IA progresse, plus le besoin de relation humaine se fait sentir en relation client. Quel est votre point de vue sur cette évolution ?
C'est un constat que je partage pleinement. La relation humaine fait partie de l'ADN de la Macif. Depuis la crise sanitaire, nous percevons dans les verbatims de nos sociétaires un besoin encore plus fort de lien humain. Aujourd'hui, les attentes autour de la relation client se concentrent sur trois piliers : l'utilité, la simplicité et surtout la possibilité d'échanger avec "de vraies personnes". L'accessibilité est au coeur d'une expérience client réussie : il faut pouvoir joindre quelqu'un, quand on le souhaite. C'est pourquoi nous avons fait le choix d'être disponibles de 8h à 20h, y compris le samedi, avec des collaborateurs basés exclusivement en France. Nous avons également un maillage territorial de 450 agences. Cela représente un coût, mais c'est une condition indispensable pour garantir cette accessibilité.
L'IA n'est-elle pas une solution pour vous rendre encore plus accessibles ?
Bien sûr. Nous sommes attentifs aux évolutions technologiques et à la digitalisation. Mais aujourd'hui, nos sociétaires nous disent clairement qu'ils ne souhaitent pas interagir avec des chatbots. Ces derniers proposent souvent des réponses très générales, et les utilisateurs sont rarement satisfaits. À la Macif, nous considérons l'IA comme un outil au service de la relation humaine. En aucun cas elle ne doit se substituer aux compétences humaines. Nous avons d'ailleurs mis en place une gouvernance spécifique, directement rattachée à notre conseil d'administration, autour de l'intelligence artificielle générative. Cette instance nous permet de piloter son développement et de garantir que l'IA soit utilisée en cohérence avec nos valeurs de solidarité et d'équité. Nous avons même publié un manifeste pour une IA éthique.
Concrètement, comment vous en servez-vous aujourd'hui ?
Nous avons déjà recours à l'IA dans certains usages, comme le Serveur Vocal Interactif (SVI), développé en partenariat avec la start-up Illuin et Orange Business. Au-delà de l'usage de la langue naturelle, nous avons aussi conçu un avatar en langue des signes, toujours dans cette logique de rendre l'assurance plus accessible. La Macif assure 6 millions de personnes, l'enjeu de personnalisation est donc immense, surtout avec une volumétrie importante : 15 millions d'appels téléphoniques, plus de 5 millions de mails reçus chaque année et 4 millions de visites physiques. L'IA peut nous aider à mieux traiter ces flux, à condition de ne jamais opposer la technologie et l'humain. Nous restons très vigilants à ce que l'humain demeure au coeur de la relation.
Quelles sont les nouvelles attentes exprimées par vos clients ?
Les attentes de nos sociétaires évoluent, mais certaines constantes demeurent. Thierry Spencer a justement parlé, après la crise sanitaire, d'une fatigue client dans un environnement anxiogène - crise sociale, financière, climatique. Nos sociétaires expriment ce besoin d'être allégés, soulagés, et cela commence par la réduction des efforts qu'on leur demande. Ils veulent aussi des preuves concrètes de nos engagements : il ne s'agit plus seulement de communiquer, il faut démontrer. Et puis, nous devons continuer de progresser sur les fondamentaux. L'omnicanalité, par exemple : on en parle beaucoup, mais dans les faits, il reste encore des ruptures dans les parcours clients. Aujourd'hui, un mail devient un flux "chaud", qui appelle une réponse rapide. Cela exige de revoir nos organisations internes. Plus que jamais, il faut revenir à l'essentiel : réduire les efforts pour nos sociétaires.
Comment construisez-vous cette feuille de route ?
Notre modèle mutualiste nous donne une force unique : nous sommes une entreprise sociale, sans actionnaires à rémunérer. Cela nous permet de préserver nos valeurs. Nous pensons d'abord "sociétaire", avant de penser "coût". Cela se traduit aussi dans nos choix en matière de développement des compétences. Nous avons créé un CFA internalisé, qui favorise la reconversion professionnelle et la transmission intergénérationnelle. Ces dynamiques s'inscrivent dans une logique d'écoute et de transparence que nous appliquons autant vis-à-vis des collaborateurs que des sociétaires. Je suis également très fier du dispositif #clientaucoeur, qui permet à chaque salarié de faire remonter les irritants du quotidien, en dehors des canaux hiérarchiques classiques. C'est d'ailleurs de cette manière qu'est née l'idée de proposer de la visio en agence : c'était une remontée du terrain. Depuis 2017, notre programme « culture client » aide les équipes à mieux comprendre la posture attendue, en lien avec nos valeurs. Il permet de travailler ensemble, et chaque année, nous remettons un award aux meilleures initiatives internes. Nous proposons aussi aux équipes support d'appeler directement des sociétaires pour mieux comprendre l'impact de leur travail. C'est très concret, très engageant.
Pour aller plus loin dans vos projets d'inclusion...
Nous avons pris des engagements forts vis-à-vis de nos sociétaires seniors. Cela passe par des actions de prévention, mais aussi par l'accompagnement aux outils technologiques. L'objectif est d'éviter les fractures générationnelles liées à l'évolution rapide des usages numériques. Pour les plus jeunes, nous nous mobilisons également, notamment autour des problématiques d'addictions, à travers des campagnes de sensibilisation conçues avec eux.
Quels sont vos projets pour demain ?
Nous avons lancé plusieurs projets structurants, toujours dans une logique d'amélioration de l'expérience sociétaire. Nous avons, par exemple, mis en place un comité réclamations qui se réunit chaque semaine. Il réunit des représentants sociétaires qui examinent les réclamations d'autres membres. Cette démarche atypique nous pousse à remettre en question certaines approches trop techniques et à ajuster nos contrats et services en nous appuyant sur les retours concrets du terrain.
L'intégration de l'intelligence artificielle se fait, chez nous, de manière encadrée et éthique. Elle s'inscrit dans une refonte profonde de notre système d'information : nous reconstruisons nos outils métiers, mettons en place une gestion des flux unifiée avec un nouveau CRM, et développons une vision client à 360°, adaptée à notre ambition omnicanale. Dans le même esprit, nous avons transformé notre modèle d'agences, en passant d'un fonctionnement centré sur la visite physique à un modèle hybride intégrant la visio et la relation téléphonique.
Enfin, la gestion des sinistres reste un moment de vérité. Avec 1,6 million de sinistres traités chaque année, nous avons rapproché les équipes du terrain pour garantir personnalisation et réactivité. Nous investissons aussi dans la technologie pour transformer la gestion des sinistres en une véritable relation de confiance. Notre plan stratégique "Impact Macif" nous projette désormais vers 2025-2030. Et si nous pouvons avancer avec ambition, c'est parce que les équipes sont pleinement engagées partout en France.
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