Grande distribution: quel est le réel intérêt d'un programme de fidélisation ?
Les programmes de fidélisation en grande distribution sont peu efficaces pour fidéliser les consommateurs et augmenter leurs achats, révèle le chercheur Lars Meyer-Waarden. Ce professeur à la Toulouse School of Management explique pourquoi ils sont cependant indispensables.
Je m'abonneToutes les chaines de grande distribution proposent des programmes de fidélisation. Sont-ils véritablement efficaces ?
Les programmes de fidélité mis en place ne modifient pas durablement les habitudes des consommateurs existants et ne permettent pas d'en attirer de nouveaux. J'ai mené des études comportementales dans des supermarchés Géant Casino et Leclerc avant et après l'adhésion à un programme de fidélisation. Résultat : leurs achats sont légèrement modifiés durant trois à six mois, avec 1% à 3% d'augmentation en moyenne. Après, leur comportement retourne aux chiffres d'avant l'adhésion.
L'explication, c'est que la valeur de la récompense est très faible, en moyenne 1 à 2% de ce que l'on a dépensé, il n'y a donc pas de réelle incitation à dépenser plus puisque le client y gagnera peu. Et cela n'attire pas non plus de nouveaux consommateurs : ceux qui font déjà leurs courses dans l'enseigne peuvent prendre la carte, mais le programme de fidélité ne permettra pas d'attirer les clients des enseignes concurrentes. De plus, seulement 15% des consommateurs en grande distribution sont satisfaits de leur programme de fidélisation.
Y a-t-il alors un intérêt à continuer ces programmes de fidélité ?
La personnalisation est une clé, même en grande distribution
Oui. Car tout l'intérêt de ces programmes, c'est d'obtenir des données sur les clients existants. Cela permet de segmenter sa clientèle et d'offrir plus de personnalisation, qui est une des clés de la fidélisation même dans la grande distribution. Un supermarché a par exemple expérimenté un système où les membres du programme de fidélité pouvaient s'identifier grâce à leur smartphone dans les rayons, et l'application leur proposait des promotions et des avantages personnalisés sur la base de leur comportement d'achat.
Avoir ces données permet aussi une segmentation en fonction de l'importance du client : gold, platinium... On peut imaginer que la livraison soit gratuite pour les clients platinium. Etudier les comportements permet aussi de voir qui est sensible au prix, et de ne pas proposer de réduction aux clients complètement insensibles à ce paramètre. C'est de la discrimination par les prix, à laquelle on arrive de plus en plus. Le e-commerce est en avance sur la grande distribution sur la personnalisation et la segmentation, car les clients donnent énormément d'informations sur eux pour passer une commande, et cela sans passer par un programme de fidélité.
Avec les frigos intelligents, à l'avenir on pourra avoir une gestion des stocks en juste à temps, on peut imaginer que le frigo commande directement au supermarché quand un produit manque au consommateur.
Mais il y a un phénomène croissant de défiance vis-à-vis des entreprises qui collectent des données...
J'ai mené des recherches sur l'intrusion perçue, sur l'équilibre entre la demande de vie privée et l'envie de personnalisation. Les consommateurs déclarent à 80% ne pas vouloir donner leurs informations personnelles à une entreprise, mais dans les faits, ils en donnent énormément, beaucoup plus que ce qu'ils affirment être prêts à donner, ne serait-ce qu'à Facebook et Amazon. Il existe des militants qui rejettent vraiment ces pratiques mais beaucoup se prétendent sensibles et n'agissent pas en conséquence.
Que faudrait-il faire pour améliorer la fidélisation ?
Les clients veulent que la carte de fidélité leur permette d'être invités à des événements
Les consommateurs interrogés indiquent quatre points qu'ils souhaiteraient voir mis en place dans les programmes de fidélité : une valeur économique plus importante, des bénéfices de type fonctionnel pour faciliter les achats : la possibilité de retrouver le détail de ses achats précédents pour faire sa liste de course, la livraison... Mais également une dimension "plaisir" avec l'organisation de jeux réservés aux porteurs de cartes de fidélité, et un développement du relationnel : les clients ont envie d'être invités à des événements pour parler de produits et de leur amélioration, ou à des avant-premières lors de foires aux vins par exemple. Livraison, assurances complémentaires, garde d'enfant pendant les courses... on peut imaginer un nombre infini d'avantages pour les porteurs de carte, la seule limité, c'est la rentabilité.
Il faut associer la fidélisation à un privilège, sans que le coût marginal ne soit trop important pour l'entreprise. Dans les services, on voit par exemple que chez Accor, les adhérents au programme de fidélité ont le droit d'arriver plus tôt que les autres dans leur chambre d'hôtel, et d'en partir plus tard : cela n'a pas un coût énorme pour l'entreprise mais offre un réel avantage.
Lire aussi : [Tribune] Fidélisation : évitons la rupture
Si on veut que la fidélisation fonctionne, il faut regagner la confiance des consommateurs, montrer qu'on utilise leurs données uniquement pour leur bien, pour obtenir ce dont ils ont besoin. C'est la clé pour que le client accepte de livrer ses données.
Comment mieux associer les fournisseurs à la gestion de ces données collectées lors des programmes de fidélisation ?
Une réponse intéressante est l'efficient consumer response, une démarche qui consiste à mettre en place un vrai partenariat entre le distributeur et le fournisseur pour connaître en temps réel les ventes, à se mettre d'accord sur les approvisionnements et les promotions. Les distributeurs ont intérêt à mettre à disposition des marques les données issues des programmes de fidélisation, pour que ceux-ci puissent optimiser les produits. Et les fournisseurs ont une plus-value à apporter pour améliorer le côté relationnel des programmes de fidélisation (réunion sur les produits, avant-premières...)
Lars Meyer-Waarden est professeur en sciences de gestion à l'université de Toulouse Capitole, notamment à la Toulouse School of Management, et membre du centre de recherches TSM Research. Il est spécialisé dans les questions de fidélisation et les mécanismes de loyauté aux marques. Il a publié plusieurs ouvrages sur le sujet, notamment Management de la fidélisation - De la stratégie aux technologies digitales.
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