Kuider Akani : "C'est interactif, communautaire, presque émotionnel."
À Hô Chi Minh ou Bangkok, des créateurs vendent en direct depuis les centres commerciaux, transformant l'achat en une expérience vivante et interactive. Ce modèle, encore marginal en Europe, redéfinit la relation client en Asie. Pour Kuider Akani, ancien Global Chief Digital Officer chez Yves Rocher et aujourd'hui consultant en e-commerce, social commerce et live shopping, il ne s'agit pas que d'un effet de mode mais d'une révolution qui se joue à l'autre bout du monde, initiée il y a plus de dix ans en Chine.

Kuider Akani, vous venez tout juste de rentrer d'un voyage en Asie du Sud-Est, où vous avez rencontré de nombreux acteurs du live shopping. Que se passe-t-il actuellement là-bas ?
Une véritable révolution est en cours. Dans des villes comme Hô Chi Minh ou Bangkok, les centres commerciaux se transforment en studios de tournage géants. Des créateurs diffusent en direct, toute la journée, pour vendre à des milliers de spectateurs connectés. Le live shopping est devenu un canal d'achat à part entière, naturel, intégré dans le quotidien. Et ce qui est fascinant, c'est à quel point ce modèle explose là-bas, pendant qu'il reste encore marginal en Europe.
Pourquoi un tel écart entre l'Europe et l'Asie selon vous ?
C'est avant tout une question de mind set et une question de dynamique de l'écosystème, la façon dont travaillent ensemble agences, plateformes, marques et créateurs. En Asie, on teste. On ajuste. On passe à l'échelle. Pendant ce temps, en Europe, on débat encore pour savoir si c'est pertinent. Résultat : en Asie, jusqu'à 20 % de l'e-commerce passe par le live, avec des marques qui ont investi massivement, comme L'Oréal au Vietnam qui a ouvert un complexe de 22 studios de live.
Le live shopping repose donc sur un écosystème singulier ?
Il s'appuie sur des plateformes puissantes comme TikTok Shop, Shopee ou Lazada, des réseaux d'agences spécialisées (MCN), des créateurs formés, et surtout une intégration technologique native du commerce dans les réseaux sociaux. Les achats groupés, le check-out intégré, les algorithmes de recommandation en temps réel... Tout cela crée une expérience fluide, engageante et communautaire. Tik Tok shop est arrivé comme un accélérateur qui fait bouger les lignes.
Et en France ? Malgré quelques initiatives, le modèle semble peiner à s'implanter...
Il y a eu une dynamique post-Covid : quelques grandes marques comme Etam ou les Galeries Lafayette ont tenté des expériences, souvent spectaculaires, comme des défilés en live. Mais cela s'est fait dans un contexte d'urgence, avec des budgets élevés et un e-commerce déjà chamboulé. Beaucoup ont été déçus par le manque de résultats immédiats. Aujourd'hui, il faut revenir avec une approche plus structurée, plus économique, mieux préparée.
Des enseignes comme Carrefour ou Boulanger s'y mettent désormais, de manière plus régulière. C'est un bon signe. La dynamique de marché change. La Génération Z ne regarde plus la publicité traditionnelle : elle écoute les créateurs, elle veut de l'authenticité, du direct, de l'interaction. C'est là que le live shopping devient une réponse stratégique.
Ce phénomène dépasse donc la simple tendance commerciale ?
Totalement. C'est une transformation culturelle. Le live réinvente le commerce en rétablissant un lien direct, humain et incarné entre les marques et leurs communautés. Ce n'est plus "je montre un produit", c'est "je vis une expérience en temps réel avec mon audience". On ne parle plus à un client, on parle avec lui. C'est interactif, communautaire, presque émotionnel.
Et côté secteurs...
Si la mode et la cosmétique ont été les pionniers, on voit aujourd'hui des enseignes de restauration comme KFC, des banques ou encore des marques automobiles comme Ford adopter le live shopping. En Thaïlande, certaines sessions en direct peuvent durer jusqu'à 10 heures, animées par des influenceurs qui ont monté leurs propres studios professionnels. TikTok organise même des événements d'envergure, comme les Beauty Fests, en plein coeur des centres commerciaux. Un bon exemple de cette dynamique est Ming Wei suivi par 23 millions de personnes sur TikTok, qui a récemment lancé son propre studio. Cela illustre parfaitement la vitalité de ce modèle.
Est-ce que certaines marques européennes s'y intéressent sérieusement ?
Oui. Par exemple, Zara a observé pendant deux ans le marché chinois. Cet été, ils lanceront leur propre chaîne de live shopping, avec des formats courts, très ciblés. C'est le bon moment pour se lancer, car ce canal permet de contourner les dépendances aux plateformes traditionnelles, tout en reconnectant avec une audience jeune et engagée.
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