[Tribune] De la gestion de la relation client à la gestion de la satisfaction client
Entre, d'un côté, l'obligation de prendre en compte les nouvelles habitudes de communication, au milieu desquelles les media électroniques et autres réseaux sociaux deviennent prégnants, et de l'autre le besoin de garder la chaleur et la proximité - et même parfois l'intimité - induites par les échanges entre personnes, les décideurs font face à une dichotomie qu'ils doivent résoudre sous peine de sortir du jeu - s'il en est un - de l'excellence dans la relation client. Il en va d'ailleurs souvent de leur survie.
Je m'abonneDe ce constat, il n'est d'autre option que d'avancer et de repenser les moyens de satisfaire des clients de plus en plus exigeants et pressés, en tirant des leçons du passé mais surtout en dessinant l'avenir grâce à la palette de nouveaux outils que la technologie et l'intelligence artificielle mettent désormais à disposition de tous, ou presque. En tout cas, de ceux qui ont ou auront la curiosité de s'y intéresser.
Sans remonter aux temps antédiluviens des pratiques commerciales des Phéniciens, basées sur l'échange et l'écoute des besoins du client, et pour replacer le propos dans le contexte plus actuel de la gestion de la relation client assisté par les technologies numériques, il est intéressant de s'arrêter sur les différentes phases qui ont fait évoluer le sujet au cours de ce que l'on limitera donc aux deux dernières décennies. Une éternité à l'échelle de ce que l'on nous annonce comme devant être notre nouveau monde, appelé par certains le métaverse.
Répondre vite et bien au client pour qu'il soit satisfait et parle favorablement de votre marque et de vos produits et services : il n'est pas nécessaire d'aller chercher ailleurs car il s'agit ici, en résumé, de l'alpha et l'oméga de toute entreprise orientée vers son client. On aimerait tutoyer le pléonasme ici, et pourtant la réalité montre qu'il n'est pas vain de rappeler que ceci est fondamental.
Certes, et pour être tout à fait honnête, une majorité d'entreprises a investi dans le domaine, notamment dans l'intégration avec les outils CRM dès lors que ce fut possible. À partir de là, les conversations avec les clients ont pu être mises en contexte, à savoir être étayées d'informations personnelles, comme l'historique des échanges, les préférences, les attentes, et surtout des données sur la problématique traitée - car souvent quand on contacte un centre de relation client, il s'agit d'adresser un problème - qui ont permis d'atténuer l'aspect anxiogène et de donner des réponses rapides et satisfaisantes à des clients qui cherchent via leur appel un recours, une aide.
D'ailleurs, parler d'appel n'est plus tout à fait exact. Ce que l'on appelle le multicanal est quasiment devenu la norme. Même si le téléphone reste le media le plus utilisé (il faut ici penser « générations », pour beaucoup le téléphone est le seul moyen de communication), les nouveaux canaux gagnent du terrain : email, réseaux sociaux, bots.... Concernant les robots justement, l'une des priorités dans un futur proche sera de leur donner une forme d'intelligence pour pouvoir challenger le conseiller humain qui garde encore - et sans doute pour quelques temps - un avantage décisif dans le domaine. Il appartient aux entreprises d'utiliser ses compétences et son empathie à bon escient, là et quand elles seront les plus utiles pour l'entreprise. Mais n'oublions pas les conseillers car la motivation de ces personnes, dont on n'entend souvent que la voix, passe aussi et surtout par le ressenti d'un client satisfait.
Nous l'avons vu, cette recherche - qui parfois s'apparente à une quête - pour atteindre les sommets de l'excellence dans la gestion de la relation client (il serait d'ailleurs plus juste de parler de gestion de la satisfaction client) est continue, mais surtout connaît aujourd'hui un nouvel élan, propulsé par les progrès technologiques récents, au premier rang desquels l'intelligence artificielle, mais pas uniquement.
Nous avons dressé une cartographie en cinq points du futur de ce que nous appellerons désormais la gestion de la satisfaction client :
- L'expérience client à 360
- Le self-service
- L'analyse du sentiment
- L'entreprise étendue
- L'omnicanal
1/ L'expérience client à 360° (ou comment digitaliser l'informel)
Nous l'avons dit, la majorité des interactions se fait désormais en contexte, à savoir à partir d'informations personnelles et utiles qui permettent d'étayer le propos pendant la conversation, facilitant ainsi la résolution du problème à traiter ou, s'il s'agit d'un dossier en cours, de le faire avancer dans le « workflow ». Ces échanges sont également l'occasion pour le client de remonter des informations, qu'elles soient structurées (chiffres, dates...) ou non (sentiments, événements...). Ces dernières, ne trouvant jamais place dans les systèmes, resteront lettres mortes, obligeant ainsi ce même client, incrédule puis agacé, à se répéter encore et encore par la suite.
Et pourtant, ces données sont une mine d'une valeur inestimable qui permettraient non seulement de réagir plus vite et mais aussi éventuellement de saisir des opportunités commerciales. Il s'agit d'offrir au conseiller la capacité de non seulement s'appuyer sur des données existantes mais également d'en collecter. Ces informations viendront alors, à leur tour, enrichir les dialogues à venir. C'est tout l'enjeu de l'expérience client à 360° qui aujourd'hui se limite à un demi-tour de 180°, ce qui est un début.
2/ Le self-service
« Tapez 1 pour... tapez 2 pour... sinon tapez 9 pour être mis en relation ». Qui n'a pas entendu cela ? Depuis toujours, l'un des objectifs des responsables de la relation client est de préserver les agents - ressource rare et chère - des tâches à faible valeur ajoutée, d'où l'éclosion des automates de type SVI (Serveur Vocal Interactif) pour prendre en charge le « tout-venant » : demande de solde de compte, validation d'opérations, etc...
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Mais ce que l'on appelle le « self-service » est en train de connaître une révolution menée par les innovations dans le domaine de l'intelligence artificielle. Bien au-delà des simples automates, on voit éclore une génération de robots conversationnels intelligents, capables de raisonner et ainsi d'aller au-delà des tâches basiques auxquelles étaient limités leurs ancêtres (desquels ils ne revendiquent aucune filiation d'ailleurs). Désormais transformés en « voice bots » et non plus en vulgaires systèmes activés par les touches du téléphone, les applications de self-service suppléent non seulement les agents hors des plages horaires d'ouverture, mais, en s'émancipant, réalisent des tâches bien plus complexes pour certaines que par le passé. Elles sont aidées notamment en cela par les progrès de la reconnaissance vocale qui, sans remplacer un vrai dialogue entre personnes, tendent à humaniser la relation.
3/ L'analyse du sentiment
On aborde ici ce qui est peut-être l'avancée technologique la plus intéressante car elle touche non seulement l'information mais également le domaine de l'intangible, ce que l'on aurait considéré il y a quelques années comme impossible à modéliser d'un point de vue mathématique, et pourtant...
L'analyse du sentiment consiste à déceler et à interpréter ce qui se cache derrière le langage naturel de chaque individu. Quand on sait l'importance des sentiments et des émotions dans toute expérience client, on comprend l'enjeu du déploiement de telles technologies. Aujourd'hui, on sait extraire un sentiment, au-delà de l'information brute, que ce soit dans des emails ou des appels voix, puis l'utiliser dans la relation. Ainsi, on peut déterminer si l'appréciation est positive, négative ou neutre. Il est même possible d'affiner l'analyse en ajoutant des nuances sur le niveau perçu, comme « très positif » ou « très négatif ».
Primordiale dans le développement de la qualité de la relation client, l'analyse du sentiment n'en reste pas moins complexe. Il faut avant toute chose comprendre le ressenti, puis rattacher l'information à un thème, phase délicate puisque l'on s'exprime différemment au téléphone, dans un email ou sur les réseaux sociaux. Vient alors et seulement la phase d'exploitation dont on espère qu'elle apportera une valeur lors des prochains échanges. Les exemples d'application ne manquent pas comme celui d'un client mécontent du prix d'un produit à qui l'agent, selon ses compétences et son degré de délégation, pourra faire une nouvelle proposition commerciale.
Et dans un futur proche, on peut même imaginer qu'un robot conversationnel virtuel puisse traiter l'information de manière complète. Philippe Guiheneuc, Chief Marketing Officer chez Akio, éditeur de logiciel sur le marché de la Gestion de l'Expérience Client, va encore un peu plus loin : "Aujourd'hui, les phases d'exploitation restent pour la plupart manuelles, mais on peut imaginer demain que des bots automatisent entièrement le processus, allant même jusqu'à modifier les règles de traitement (« workflow ») et les informations dans les bases de données." Pour réaliser cela, des moteurs d'Intelligence Artificielle (IA), basés sur des techniques diverses comme les modèles par intention (qui ont pour but de détecter l'objectif de l'utilisateur qui pose une question) ou des capacités d'auto-apprentissage, seront d'une grande utilité. Dans tous les cas, tout ceci ne se fera pas sans respecter une notion d'éthique dans l'usage des technologies de l'IA, sujet qui prend de plus en plus d'importance notamment au sein de la commission européenne.
4/ L'entreprise étendue
On entend par "entreprise étendue" la capacité à ouvrir la relation client à l'ensemble de l'entreprise. Cela implique que la stratégie de satisfaction client soit partagée, comprise et acceptée par l'ensemble des collaborateurs, que ce soit dans le domaine du privé ou dans les institutions publiques.
Cette notion d'entreprise étendue existe déjà dans les organisations dont l'activité est sujette à des pics de demande prévisibles. On pense ici à tous les fournisseurs de produits ou services dont le volume de commandes est lié au calendrier : Noël, Saint-Valentin, Fête des Mères... C'est ce que l'on appelle une extension horizontale, mobilisant l'intégralité du personnel de manière ponctuelle et acceptée à l'avance (il s'agit là de la nature même de l'activité, aussi tout le monde est-il naturellement volontaire). Mais, en parallèle, on anticipe que l'entreprise étendue, en mode vertical cette fois, se développe également, mettant à contribution tous les métiers, et ce non plus de manière saisonnière mais continue, comme un fil d'Ariane permettant de garder le souci constant de la satisfaction client, érigée comme priorité absolue.
Cela se traduit par l'implication d'experts aux côtés de leurs collègues en première ligne, prêts à apporter une aide et participer à l'effort collectif. Concrètement, l'entreprise mettra à disposition de l'ensemble des personnels impliqués des outils et des plateformes de collaboration, à la fois simples et intuitives, facilitant les sollicitations ponctuelles ou plus régulières. Mais avant tout, le fonctionnement d'un tel schéma d'entreprise étendue nécessite l'adhésion de tous de sorte que les objectifs communs soient partagés, compris et soutenus.
5/ L'omnicanal
Même si depuis de nombreuses années, les entreprises ont pris en considération les préférences des clients en termes d'engagement, qui vont bien au-delà du canal principal qu'est le téléphone, les choses continuent à très vite évoluer dans le domaine. Si le spectre des moyens reste peu ou prou le même depuis quelques années : téléphone, email, site web, réseaux sociaux, dans la majorité des cas l'effort de cohérence entre tous ces canaux reste à faire. L'enjeu est à nouveau dans la capacité à traiter l'information indépendamment de son media d'origine (utilisations diverses qui induisent souvent des différences dans la formulation et même dans l'analyse du sentiment) pour pouvoir la restituer et l'utiliser de manière « neutre » dans les échanges à venir, gommant ainsi les particularités liées à sa nature pour permettre une conversation fluide et efficace.
Conclusion
La technologie, et notamment les progrès fulgurants faits dans le domaine de l'IA, rebattent les cartes d'un domaine qui, après vingt ans d'innovation continue commençait à entrevoir la fin d'un cycle et attendait un nouveau souffle. Avec l'accélération de la transformation numérique et la prise de conscience de décideurs éclairés, ce nouveau souffle est porté par un besoin impérieux de répondre aux besoins et attentes de clients de plus en plus sollicités et avertis, proposant une opportunité que chaque entreprise et organisation publique devra saisir : celle de transformer son centre de gestion client en un centre de satisfaction client. Et ici, comme souvent dans un échange avec un client, un mot suffit à faire toute la différence.