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DossierLes outsourceurs tiennent le cap mais ne voient pas l'horizon

Publié par Stéphanie Marius le

1 - Les outsourceurs se réorganisent face à la crise

Passage au télétravail, progression de l'offshore, diversification des activités... Les outsourceurs s'adaptent à la nouvelle donne économique.

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Si les mauvaises nouvelles s'accumulent pour de nombreux secteurs économiques, le marché français de la relation client n'est pas en berne. Avec un chiffre d'affaires de 2,94 milliards d'euros en 2019, soit 6,1% de croissance en un an, les acteurs continuent sur la tendance positive observée en 2018. "Dans le top 10 mondial de l'outsourcing se trouvent quatre acteurs français", annonce Omar Alaoui, consultant senior au sein du cabinet EY, auteur d'une étude publiée en collaboration avec le SP2C(1). Les centres situés dans l'Hexagone gèrent encore la majorité des contacts et représentant 53,7% du chiffre d'affaires lié au marché français.

Interrogés sur la possible relocalisation de certaines activités externalisées en raison de l'épidémie de Covid-19, les mastodontes du secteur affirment ne pas avoir constaté de tels mouvements chez les donneurs d'ordres, ou de manière epsilonesque. Ainsi, Webhelp connaît des relocalisations épisodiques de la part de certains clients mais ces dernières sont dues à des logiques de raccourcissement de circuit ou à un plan de continuation d'activité.

Chez Sitel, le marché français (comprenant les opérations en France, en Afrique, au Portugal et en Espagne via des centres multilingues) représente 15% de l'activité globale. "Nous avons fortement mis l'accent sur le développement de clients européens, donc multilingues, explique Olivier Camino, COO de Sitel. Nos clients ont tendance à rassembler leur relation clientèle autour de mêmes unités dans des centres multilingues afin d'en faciliter la gestion." En termes d'équilibre inshore/offshore, Sitel affirme n'avoir pas connu de bouleversement depuis plusieurs années.

Classiquement, la politique d'organisation de certains clients implique de traiter tous les contacts depuis la France, tandis que d'autres acteurs souhaitent commencer par l'Hexagone avant de réfléchir à l'offshore. Même constance chez Majorel: "Nous n'avons pas été confrontés à des demandes de relocalisation car les centres offshore ont bien géré la crise, grâce au développement rapide et agile du télétravail, se félicite Dominique Decaestecker, COO. Nos donneurs d'ordres n'ont pas ressenti l'offshorisation comme un risque pour la continuité d'exploitation."

Le nearshore poursuit sa progression tranquille

Plus largement, l'équilibre inshore/nearshore continue d'évoluer à un rythme modéré. Le chiffre d'affaires des zones nearshore (Europe) est en hausse de 15,5% en 2019(1), contre 96% en 2017. Cependant, le nombre de positions croît à hauteur de 36%, impliquant une moindre rentabilité des postes créés. À noter, les deux tiers de la production pour le marché français sont localisés en Europe.

Ainsi, Webhelp, présent en France via dix centres et 5500 collaborateurs, possède également des centres multilingues en Grèce, au Portugal et en Roumanie pour compléter ses dispositifs: "Nous ne cherchons pas forcément à nous installer dans des zones à bas coût mais souhaitons offrir la palette la plus large possible", relève Dirk van Leuuwen, Managing Director de Webhelp. De même, Sitel ouvre actuellement un centre multilingue en Grèce. Les spécialités métier liées à chaque bassin d'emploi demeurent prépondérantes. Par exemple, les acteurs liés au secteur bancaire peuvent privilégier l'offshoring en Roumanie en raison de la disponibilité de conseillers parlant français, ayant des profils d'ingénieurs d'affaires et maîtrisant certains aspects des métiers de la banque.

La tendance à l'offshorisation ne ralentit qu'à la marge

En parallèle, les zones de production offshore continuent leur progression au pas cadencé. Le Maghreb, principale terre d'accueil des outsourceurs pour le marché français (31% de part de marché), enregistre une croissance de 6,4% en 2019. Comme attendu, la croissance la plus spectaculaire concerne l'Afrique subsaharienne (+48,1% pour un nombre de positions en hausse de 32,8%, soit une meilleure rentabilisation des positions créées). Nouveauté cette année, la croissance du Proche Orient (19,6%) figure dans l'étude menée par EY et le SP2C, légitimant la place, certes encore très faible (0,4% du CA), de cette zone pour le marché français.

Webhelp a d'ailleurs ouvert une entité juridique en Egypte récemment, dans laquelle la production a démarré fin 2020. L'Océan indien connaît pour sa part une croissance plus modeste, soit 27,6% en 2019 et demeure peu exploité (2,5% du marché français). Par exemple, Comdata est "monté en puissance sur Madagascar" et a quasiment doublé la taille du site existant, indique Patrice Mazoyer, Chief Transformation & Integration Officer.

La concurrence entre outsourceurs de taille moyenne basés en France et grands groupes implantés à l'offshore demeure à l'ordre du jour. Selon Khaled Mezaache, Senior Manager chez Magellan Consulting, spécialisé en conseil en stratégie d'externalisation, "les généralistes souffrent plus de la concurrence des outsourceurs offshore, dont la qualité de service tend à se rapprocher de plus en plus de celle des outsourceurs inshore. C'est le cas en Afrique, où le vivier de sociétés qui sont parvenues à passer à l'échelon supérieur en matière de qualité et de couverture de services est très important. En ce sens, l'Afrique subsaharienne représente une landing zone très attractive pour les outsourceurs offshore, car elle offre un coût plus raisonnable qu'en Afrique du Nord."

À l'échelon mondial (cette considération ne valant pas pour le marché français), le consultant juge que la recherche de valeur au travers du digital pousse certains outsourceurs à réinvestir des marchés offshore traditionnellement délaissés, tels que la Chine. "Par exemple, Majorel y a développé des business models intéressants pour des grandes marques françaises de cosmétiques, lesquelles leur ont délégué la gestion des sites e-commerce et du trafic, conclut Khaled Mezaache. Ces nouveaux modèles représentent 30% des ventes en ligne de ces plateformes."

Les centres africains des grands outsourceurs desservent également le marché local

Chez Majorel, justement, l'accélération de l'offshorisation se précise pour le marché français. Alors que l'outsourceur offshorisait 50% de son activité il y a deux ans, 60% des contacts y sont désormais traités. La croissance de sa plateforme marocaine s'établit aux alentours de 10%, l'Afrique subsaharienne est en hausse de 30%, contre une progression de 2 à 3% en France. "Nous avons des projets en Afrique de l'Est pour le marché non francophone (Éthiopie ou Kenya) mais cela demeure assez prospectif", explique Dominique Decaestecker.

L'entreprise a ouvert de nouveaux centres en Afrique subsaharienne pour le marché français, notamment au Togo: "Les conditions d'implémentation nous permettent de nous rapprocher du modèle économique de l'Océan indien, poursuit le COO, avec une plus grande proximité de pilotage et une meilleure accessibilité." La concurrence s'intensifie sur le continent, avec l'ouverture d'un centre Sitel en 2019 au Sénégal et le projet d'ouverture d'un centre Webhelp dans la même zone.

Webhelp continue sa croissance à Madagascar et en Côte d'Ivoire. Ses implantations au Bénin, au Togo et au Sénégal desservent l'offshore mais également le marché local. "Les clients qui ne réfléchissaient pas à externaliser y pensent maintenant, ceux qui externalisaient amplifient cette pratique et demandent des destinations moins coûteuses, résume Dirk van Leuuwen (Webhelp). Nous pensons que cette tendance durera entre un et trois ans minimum." Cependant, "le poids de Webhelp se trouve majoritairement en Europe et en région EMEA, avec plus de 80% de notre activité", précise Dirk van Leuuwen. Pour le dirigeant, la notion de "best shore" prévaut.

Les mouvements du marché: concentration et pression sur les prix?

Plus globalement, le marché de l'outsourcing demeure marqué par deux tendances historiques: la concentration des acteurs et la pression tarifaire de la part des donneurs d'ordres. "Nous connaissons de façon pérenne une pression très importante sur les prix, explique Patrice Mazoyer (Comdata). Cette pression existe également en offshore. Pourtant, nos coûts, lesquels comprennent surtout de la masse salariale (y compris la formation continue, la fidélisation, l'animation), ne font qu'augmenter. Les donneurs d'ordres nous demandent de progresser constamment."

Pour le Group Chief Transformation and Integration Officer, le marché de l'outsourcing est "à croissance molle", doté d'un fort potentiel, lié aux acteurs de la banque et aux mutuelles. Le relais de croissance se situe dans le développement d'activités intégrées front/back-office. "La France est très en retard sur l'externalisation", juge-t-il.

Si plusieurs outsourceurs parmi les leaders du secteur affirment s'attendre à une accélération de recherche d'optimisation dans les mois à venir de la part des donneurs d'ordres, de l'avis général, la crise n'a pas foncièrement modifié la donne. Pour les grands acteurs, la tendance à la concentration et à l'internationalisation n'a pas baissé, tandis que les outsourceurs de taille intermédiaire, souvent spécialistes, opèrent sur des secteurs d'activité spécifiques, difficile à concentrer.

Par exemple, Intelcia affiche de nouvelles ambitions. Après avoir consolidé sa position régionale en matière de relation client, l'outsourceur s'attaque à de nouveaux marchés, via sa filiale Intelcia IT Solutions, pour fournir des services de développement et de testing d'applications, de la cybersécurité, mais aussi des services digitaux d'outsourcing de BPO. "Si l'internationalisation semble être une opportunité ouverte à tous les outsourceurs, y compris ceux de taille intermédiaire, la consolidation est réservée aux mastodontes, lesquels font preuve d'une plus grande résilience depuis le début de la crise et bénéficient d'une capacité d'investissement toujours aussi importante", analyse Khaled Mezaache (Magellan Consulting). "En France, plusieurs acteurs de la téléphonie dépendent à 90 % du Maroc et réfléchissent à d'autres destinations pour réduire leur exposition au risque pays", notamment en Afrique subsaharienne et dans l'Océan Indien, perçues comme deux alternatives crédibles au Maghreb, selon Dominique Decaestecker.

Du côté des leaders, l'heure est aux pronostics sur une possible concentration du marché: "Pour l'heure, le plan de continuité d'activité demeure la principale préoccupation mais la concentration du marché continue car l'outsourcing demeure très morcelé au niveau mondial, précise Dirk van Leuuwen (Webhelp). Je pense que le mouvement de concentration va s'accélérer."

Si Majorel affirme ne pas avoir de stratégie de croissance externe importante, au motif que le rachat d'un autre acteur entraînerait une cannibalisation des volumes, sauf à racheter des acteurs de niche, les dirigeants de Sitel se montrent moins timorés. "Nous réfléchissons activement aux logiques de taille critique, de consolidation du marché, d'acquisition de savoir-faire", avance Olivier Camino (Sitel). Le dirigeant n'en dira cependant pas plus pour le moment.

Des prévisions optimistes mais un avenir incertain

Olivier Camino se montre cependant prudent, voire réticent, sur de possibles rachats d'éditeurs: "Notre métier n'est pas de fournir de la technologie mais un service", précise-t-il. Fin 2020, le groupe prévoit de réaliser un chiffre d'affaires de 2 milliards d'euros, contre un peu moins de 1,8 milliard en 2019 à l'échelon mondial. Un bon résultat dû à l'agilité avec laquelle le groupe a basculé en télétravail dès le début de la crise, selon le dirigeant.

Parmi les autres acteurs de poids, Webhelp estime sa croissance organique à 5% pour 2021. "Au niveau mondial, nous avons pour objectif de figurer dans le top 3 mondial du secteur dans les quatre ou cinq prochaines années", annonce Dirk van Leuuwen (Webhelp). Du côté de Majorel, à l'échelon mondial, l'Allemagne, la France et l'Espagne devraient progresser, à hauteur de 3 ou 4%. Les relais de croissance importants se situent sur les marchés américain, d'Amérique latine et asiatique.

"Dans les deux ou trois années à venir, via la croissance organique ou par des rachats, des fusions, nous allons voir l'émergence de trois à cinq acteurs, lesquels dépasseront les 3 ou 4 milliards d'euros de chiffre d'affaires, prédit Dominique Decaestecker. Dans les années à venir, le marché risque d'être assez agité sur ce sujet. Ce qui peut ne pas avoir de sens sur un marché local, c'est-à-dire racheter l'un des acteurs du top 5 en France, peut en avoir un au niveau mondial, en fonction des géographies d'implantation des groupes et de leurs marchés." En effet, les leaders travaillent tous pour les mêmes clients, ces derniers cherchent à équilibrer leurs risques, donc à éviter la dépendance à un seul acteur. Pour Majorel, la concentration du marché ne constitue pas un sujet d'inquiétude mais bien plutôt un ensemble d'opportunités potentielles.

L'impact du Covid-19 sur les pratiques et les implantations: l'essor du télétravail

Toutefois, les résultats et projections des acteurs, intrinsèquement liés aux mouvements du secteur, demeurent suspendus à l'évolution de la crise économique et sanitaire. Le passage au télétravail n'a pas engendré de baisse des coûts mais permet d'améliorer la flexibilité des équipes et, donc, la gestion des pics. "La crise a eu un effet immédiat sur l'activité d'outsourcing, avec des baisses de chiffre d'affaires allant de 20 à 40% en fonction des régions et de l'incidence du confinement dans les pays des donneurs d'ordres", affirme Khaled Mezaache (Magellan Consulting).

Une fluctuation d'activité parfois à la hausse: au Royaume-Uni, Sitel est mise à contribution pour effectuer l'opération Test and Trace, mandatée par Boris Johnson afin de suivre les cas contacts dans le cadre de la lutte contre le Covid-19. 10000 conseillers sont mobilisés, l'outsourceur développe la plateforme informatique et gère la donnée. De même, Sitel participe au programme de tracking allemand.

Sur le plan matériel, l'outsourceur décide de pérenniser le télétravail et de sortir de la logique de site. "Nous ne voyons plus la relation client au sein d'un site mais autour d'un hub, que nous appelons MAXhub [My Associate Experience hub, NDLR]", explique Olivier Camino (Sitel). Les collaborateurs viennent se faire recruter, se former, nouer des liens sociaux. Sur les 90000 salariés de Sitel dans le monde, 60000 travaillent désormais depuis leur domicile, au sein de 20 pays et pour environ 350 clients. L'expérience avait démarré avec un centre de formation au Sénégal, au sein d'une région dans lesquelles le bassin d'emploi est insuffisant. Les formations dispensées sont axées sur le conversationnel, la relation client et l'informatique. En Colombie, une structure similaire propose un programme d'apprentissage de la langue anglaise, durant un mois, aux collaborateurs et à leur famille.

Des initiatives similaires sont menées au Maroc et un MAXhub est en construction à Romainville, en région parisienne. "Les collaborateurs ont besoin de rester connectés émotionnellement à Sitel et à la marque donneuse d'ordres", indique Olivier Camino. Les plateaux deviennent des lieux de coaching. Les acteurs s'adaptent à une nouvelle réalité, laquelle ne permet pas de dupliquer ce qui se faisait auparavant. Olivier Camino se veut rassurant: "Nous défaire de mètres carrés n'est pas l'objectif premier. À Romainville, il ne s'agit pas de nous séparer du site." L'outsourceur assure réaliser des investissements très lourds pour rendre sa plateforme de formation à distance (développée aux États-Unis) plus sociable, axée sur le "fun management". Pour les outsourceurs, la course à l'innovation devient vitale, dans un contexte que plus aucun acteur ne se hasarde à prévoir.

(1) Source: Rapport EY/SP2C "Baromètre des impacts économiques, sociaux et territoriaux des centres de contacts externalisés en France", 2020, sur des données de 2019.

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Stéphanie Marius

Chef de rubrique

Ancien professeur de lettres modernes, secrétaire de rédaction durant quatre ans et aujourd’hui chef de rubrique pour les sites [...]...

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