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[Tribune] La conversation digitale des marques: artifice ou réalité?

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[Tribune] La conversation digitale des marques: artifice ou réalité?
© Photo © NORMAN GODWIN

Manifester sa sincérité sans tomber dans la surpromesse: Jeanne Bordeau, spécialiste du langage des marques, explique l'équilibre à tenir, via son étude "Comment conquérir le client par le langage, analyse et décryptage de modèles d'écriture".

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Dans une époque en quête de sens, créer un dialogue avec ses clients est devenu un enjeu majeur. Pour entrer en conversation et conquérir un client, comment écrire? Le 4 février, Jeanne Bordeau #MadameLangage a dévoilé au travers d'une étude des bonnes pratiques pour inciter le client à entrer en dialogue avec la marque et a commenté des cas. Parmi les 50 marques que nous avons étudiées, un premier constat se dessine: celui de la nécessité pour la marque de posséder avant tout une identité, un ton, une posture. Car entrer en conversation, c'est se placer dans un face à face avec son client. Une identité forte, caractérisée, incite davantage le client au dialogue tandis que la marque de son côté garde une certaine maitrise des échanges. De plus, cette identité et ces valeurs ou principes d'actions doivent irriguer tout le langage de la marque pour lui donner une cohérence de ton, un style.

Ainsi Lydia nous annonce: "Nous nous efforçons d'être... des gens bien, mais qui ne se laissent pas faire", générant ainsi des questions sur ce qu'elle est. Lorsque les marques ont une identité affirmée, elles peuvent dialoguer par des questions ouvertes, sans perdre de vue le but qu'elles se sont fixé. Leroy Merlin, marque à la personnalité forte, nous demande: "Prêt pour réveiller vos projets extérieurs?". Si les marques se doivent d'incarner clairement leurs valeurs, leurs réponses doivent aussi porter des preuves.

L'étude démontre également que les marques, dans leurs interrogations, sont de plus en plus à l'écoute de leurs clients, qu'elles veulent impliquer. Bourjois nous convie avec un: "Venez bavarder avec les bourjoises sur Instagram". Pour engager le dialogue, des questions ouvertes, les marques manifestent leur sincérité à travers des signes d'attention, à l'image de Boursorama qui nous interpelle: "Comment pouvons-nous vous aider?".

Certaines marques cependant, au travers d'identités bavardes tombent dans la surpromesse. Elles n'y gagnent pas, car exister trop densément n'installe pas pour autant un dialogue. Lacoste déclare ainsi: "Si l'élégance résonne si fort au coeur des valeurs Lacoste, c'est donc parce que nous savons qu'elle contribue à fonder une société plus inclusive, plus tolérante et plus solidaire. Nos actions s'inspirent toutes de cette conviction" ou dans le paragraphe élégance durable: "En tant qu'acteur responsable de la mode, nous nous impliquons pour créer et mettre en oeuvre un nouveau modèle de mode durable: une démarche de coconstruction innovante et ambitieuse, dans laquelle nous engageons l'ensemble de nos partenaires. Notre modèle prend en compte la totalité de notre impact écologique, ainsi que celui de nos fournisseurs et propose une alternative, l'élégance durable, qui bénéficie à la fois à l'humain, aux communautés locales qui la produisent et à la planète." A travers cette prise de parole trop étoffée, Lacoste s'est surtout exposé à des questions concrètes et délicates sur Facebook de la part des consommateurs.

"Après Moha La Squale, nous avons maintenant Roméo Elvis. Qui sera le prochain?", en rapport avec la controverse suscitée par le rappeur ou "Vous protégez le léopard et le zèbre, bien, et le Ouïghour, c'est pour quand? Chine#assassin ", ces phrases accusatrices font référence à la fabrication des polos en Asie. La marque n'a pas pris la peine de répondre à ces commentaires. Une fois l'échange lancé, est-ce envisageable de ne pas dialoguer avec les socionautes qui vous interpellent?

Notre étude dévoile que certains secteurs possèdent une prédisposition au dialogue. C'est notamment le cas pour les marques d'électroménager, de bricolage et de services comme les banques et assurances, de cosmétiques... Pourquoi? Parce que leurs activités-mêmes nécessitent conseil et service. Ces types de marques répondent par des d'informations concrètes. Ainsi les marques de cosmétiques savent créer naturellement un cercle intime, propice à une conversation naturelle parfois quelque peu dirigée par des questions bien pensées.

Sur les sujets dont ces marquent traitent, de nombreuses questions appelant une réponse pédagogique fusent. Ainsi, Dyson, dans sa section assistance demande: "Vous souhaitez une démonstration produit? Typology, à travers son contenu de marque, se renseigne sur les habitudes de sa communauté par des questions guidées: "aimez-vous nos gommages?" réponse d'une fan: " Pas encore essayés, mais ça ne saurait tarder." Leur langue est directe et les réponses emplies de preuves. Bourjois veut savoir: "Si vous ne pouviez avoir qu'une couleur, laquelle serait-ce?" Ces moments de conseil sont aussi l'occasion de récolter d'autres informations dont les réponses peuvent à leur tour nourrir avec utilité la conversation.

A l'heure de l'expérience client, le tour de force notable réussi par certaines marques est de pouvoir se mettre à la place du client dans les questions qu'elle leur pose. Ces questions activatrices génèrent une véritable expérience client. Quand Picard dit "Tu le sens? Quoi? L'odeur de l'apéro?", ou que Nars s'interroge: "Y-a-t-il un moment pour se faire plaisir?", la marque partage des situations que son client éprouve au quotidien. Ce type de questions habiles apporte aux échanges une dimension relationnelle et sensible, qui suscite une réelle proximité et crée un lien. Un voyagiste demande: "où passons-nous l'été?"

Quant aux marques responsables, elles n'ont pas besoin d'artifices stylistiques pour entrer en conversation, puisqu'elles naissent et se nourrissent du dialogue qu'elles tissent d'emblée avec le client en annonçant leurs engagements. Elles vivent leurs engagements et leur discours au travers d'une diversité de questions naturelles et sans artifice. Ainsi Asphalte affiche sa raison d'être: "Vous trouvez que vos fringues coûtent une blinde et ne durent pas très longtemps? Nous aussi. Alors on a décidé de trouver une solution." Sans cesse, elles mettent le consommateur au défi de les interroger sur les objectifs et responsabilités qu'elles se sont fixés. Marques activatrices par nature, leur conversation respire la sincérité. Lydia le revendique: "ne nous croyez pas sur parole, essayez Lydia sur votre iPhone ou Android" alors que Hopaal, marque de vêtements recyclés, clame sur son Instagram: "Chaque achat est un vote".

Le ton est engagé et les questions vont jusqu'à donner du pouvoir au client. Zèta, jeune marque de sneakers bordelaise, compare le poids de nos vêtements inutilisés en hippopotames avant de nous questionner: "Et vous, combien d'hippopotames avez-vous dans vos placards?". Autre exemple éloquent, celui de Veja, qui dans sa newsletter de janvier nous informe que: "De 2005 à 2018, en raison de quantités de coton bio trop faibles, nos lacets n'étaient pas en coton biologique. Aujourd'hui 26% de la quantité totale de coton biologique que nous achetons sert à fabriquer nos lacets."

De façon durable et continue, les marques engagées savent mettre leur propos en perspective et les installer dans le temps, pour créer une conversation et des questions en continu. Néanmoins, il y a un défi majeur auquel ces marques vont avoir à se confronter: celui de pouvoir garder leur identité afin de ne pas la diluer dans la force et la vitalité de la conversation avec leurs socionautes. De plus, de leur part, l'exposé de trop de preuves vient parfois étouffer l'essence de leur propos.

L'auteur

Depuis 25 ans, grâce à des études et la publication de notes de tendance, Jeanne Bordeau scrute le langage des marques et des entreprises. Elle intervient sous le label de Madame Langage.


 
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