[Tribune] Un téléphone qui sonne moins, mais mieux
Fini les appels non sollicités : à partir d'août 2026, seuls les téléphones ayant reçu un consentement clair pourront sonner. Une évolution réglementaire qui transforme le démarchage téléphonique en canal de confiance... ou le condamne à disparaître.
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Le 21 mai 2025, le Parlement a adopté définitivement la proposition de loi visant à interdire tout démarchage téléphonique sans consentement préalable, dernière étape d'un parcours parlementaire entamé en 2024. Quelques jours plus tôt, la chaîne parlementaire LCP annonçait déjà : "Vers l'interdiction du démarchage téléphonique sans consentement préalable dès août 2026" (dépêche du 14 mai). La loi entrera en vigueur le 11 août 2026 : à cette date, le dispositif Bloctel sera supprimé et les entreprises devront prouver que chaque personne a donné son accord explicite avant tout appel - seule exception : les appels strictement liés à l'exécution d'un contrat en cours. Le texte encadre par ailleurs la prospection par e-mail, SMS et réseaux sociaux dans les domaines de la rénovation énergétique et de l'adaptation du logement, deux secteurs particulièrement visés par les plaintes de consommateurs.
De Madrid à Berlin, et jusqu'à Londres, 12 pays européens appliquent déjà des règles plus strictes : l'Europe trace le cap. Plutôt qu'un choc, l'exigence de consentement explicite (opt-in) ouvre la voie à un appel téléphonique véritablement choisi, respectueux et efficace. Cette échéance laisse 15 mois à la France pour se hisser au niveau de ses voisins et préparer la prochaine étape : le règlement ePrivacy et la Rich Call Data (RCD) qui redéfiniront la confiance numérique sur tout le continent.
Trop d'appels... et trop d'escroqueries
Selon une analyse conjointe AFRC-SP2C, en France, 60 % de la nuisance totale des appels téléphoniques non nécessairement désiré ou attendus provient d'appels frauduleux ou hors cadre légal. En Espagne, les fraudes "bono digital" suivent la même courbe ; en Allemagne, le régulateur recense + 40 % d'arnaques « grand-parent ». Derrière ces dérives, le spoofing (faux affichage du numéro de l'appelant) de numéros affaiblit la confiance : 46 % des Français décrochent moins qu'avant, 52 % des Allemands font de même.
En 2024, la DGCCRF (le service de répression des fraudes) a recensé 700 000 plaintes liées au démarchage illicite. Le phénomène ne se limite plus à l'agacement : l'usurpation de lignes pour arnaquer au CPF, la fraude CEO ou les faux conseillers bancaires explosent, représentant déjà 34 % des signalements Bloctel.
La riposte réglementaire n'est pas nouvelle : dès 2016, le service Bloctel imposait une purge systématique des listes d'appels ; en 2019, le Code de bonnes pratiques élaboré par le MEDEF encadrait les scripts et la cadence. Depuis juillet 2023, la loi « Naegelen » déploie le Mécanisme d'Authentification des Numéros (MAN) : chaque appel sortant doit être signé pour fermer la porte au spoofing. Autant de jalons qui montrent que l'Opt-in s'inscrit dans une progression continue ; il vient compléter, non remplacer, ces dispositifs. Concrètement, le texte adopté abroge Bloctel au 11 août 2026 et fait définitivement passer la France d'un régime d'opt-out (se désinscrire) et opt-in (donner son accord avant d'être appelé) généralisé.
Résultat : l'enjeu n'est plus seulement de réduire le volume, mais de restaurer un téléphone de confiance, sécurisé et traçable. Dans ce contexte, les pratiques et les technologies telles que les solutions de Centre de Contact (CCaaS), utilisées pour le démarchage téléphonique, accompagnées par des avancées réglementaires, vont devoir évoluer pour plus de qualité, de transparence et de consentement préalable.
L'Europe montre déjà la voie
- Allemagne : depuis 2009, la loi UWG impose l'Opt-in pour toute prospection B2C ; les amendes peuvent atteindre 300 000 €.
- Italie : le Registro delle Opposizioni étendu en 2022 inclut tous les numéros fixes et mobiles, obligeant les marques à purger leurs bases avant chaque campagne.
- Pays-Bas : l'ACM exige la preuve horodatée du consentement dans les 24 h suivant une enquête.
- Royaume -Uni : le Privacy and Electronic Communications Regulations (PECR) impose l'Opt-in- pour tout télémarketing depuis 2003 ; l'ICO peut infliger jusqu'à 17,5 millions £ d'amendes. En 2023, la Fraud Strategy du gouvernement annonce l'interdiction totale du cold calling pour les produits financiers afin de lutter contre les arnaques."
La proposition de Règlement ePrivacy, en discussion à Bruxelles, généralise ce principe à l'ensemble de l'UE : aucun appel sortant sans accord explicite, preuve conservée cinq ans. Pour les entreprises françaises, devancer cette échéance, c'est sécuriser l'accès aux marchés export tout en alignant leur RSE.
Trois thèmes, trois angles pour réussir la bascule
1. Planification responsable
Pour les directeurs marketing, la priorité est de maîtriser la cadence : moins d'appels, mieux ciblés et strictement calés sur les créneaux légaux (10 h-13 h / 14 h-20 h). Les opérateurs et autres fournisseurs techniques doivent, de leur côté, fournir des planificateurs intelligents capables d'appliquer des quotas dynamiques. Enfin, les éditeurs de solutions numérique de type CCaaS utilisées pour les campagnes téléphoniques d'appels sortants, doivent intégrer des modules de pressure management qui automatisent le respect des plages horaires et ajustent la sollicitation en temps réel.
2. Consentement & cadre contractuel
Les entreprises doivent collecter l'opt-in de façon horodatée, le conserver au moins cinq ans et mettre à jour leurs CGU ainsi que leurs accords de traitement des données. Les fournisseurs de la chaîne de valeur ont la responsabilité d'offrir des connecteurs de consentement natifs (Ex CRM) et d'en garantir l'auditabilité. Dans cette perspective, les éditeurs de CCaaS doivent pouvoir assister les organisations en déployant des flux de consentement unifiés et exposent des APIs qui rendent chaque appel traçable, preuve à l'appui.
3. Fraude, sécurité & Calling Line Identity
Pour contrer les arnaques, les donneurs d'ordre doivent authentifier leurs numéros sortants et sensibiliser leurs équipes aux signaux d'alerte. Les fournisseurs réseau généralisent STIR/SHAKEN ou MAN et déploient des filtres anti-spoofing, tandis que la Rich Call Data affichera clairement l'identité de l'appelant. Des éditeurs et opérateurs participent aux groupes de travail CLI, intègrent la signature numérique du numéro et préparent des pilotes RCD à grande échelle.
Fournir des solutions technologiques qui garantissent d'atteindre les publics cibles avec sobriété et respect est désormais la clé : en filigrane, la réduction des appels inutiles s'inscrit aussi dans la sobriété numérique. Selon l'ETNO, jusqu'à 240 GWh pourraient être économisés chaque année à l'échelle européenne, alignant ainsi le télémarketing responsable avec les objectifs RSE du Green Deal.
Le projet de loi acte la fin du démarchage téléphonique « en aveugle ». Demain, la valeur d'un appel se mesurera à la qualité du consentement qui le précède. C'est une opportunité : l'Opt-in- transforme un canal décrié en vecteur de confiance et de performance.
Pour les directions marketing, commerciales, les directions d'expérience et de satisfaction client (CX) ou pour les directions en charge de transformation numérique, l'échéance du 11 août 2026 fixe un véritable plan d'action : cartographier les flux sortants ; sécuriser et tracer le consentement ; authentifier les numéros via STIR/SHAKEN ou MAN ; piloter la pression commerciale ; former les équipes et mettre à jour les cadres contractuels.
Engager ces chantiers dès 2025, c'est non seulement éviter les sanctions, mais surtout créer un avantage concurrentiel : un téléphone qui sonne moins, mais mieux, devient un moment de dialogue choisi, générateur de satisfaction et de valeur durable. En parallèle, des fournisseurs de solutions pour le CCaaS s'engagent aux côtés des responsables CX pour leur fournir les outils et bonnes pratiques nécessaires à une mise en conformité fluide et à forte valeur ajoutée. La contrainte réglementaire peut être convertie en opportunité stratégique, pour rétablir un lien de confiance, améliorer la pertinence, la légitimité et l'efficacité, en valorisant de manière coordonnée l'ensemble des canaux de contact client entre vocal et digital, et à faire du canal vocal un point de contact fiable.
Il reste toutefois essentiel que ce nouveau cadre ne freine pas le développement commercial légitime : l'opt-in doit protéger le consommateur sans étouffer l'innovation. Par ailleurs, la lutte contre la fraude téléphonique (usurpation d'identité, arnaques financières, CPF...) nécessite des mesures ciblées et coopératives entre opérateurs, régulateurs et éditeurs ; elle ne saurait être réduite au seul contrôle du volume d'appels.
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