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Comment gamifier efficacement son parcours de formation?

Publié par Stéphanie Marius le - mis à jour à
Comment gamifier efficacement son parcours de formation?

Les outils de gamification dédiés à l'apprentissage des conseillers clients se diffusent progressivement au sein des centres de contacts. Que faut-il attendre de ces solutions et comment les utiliser à bon escient?

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Arrivée des États-Unis, la gamification, ou apprentissage ludique, s'impose peu à peu au sein du parcours de formation des conseillers clients. La multiplication des prestataires (éditeurs, organismes de formation proposant des offres sur mesure) se conjugue à la création de jeux en propre, développés par les outsourceurs eux-mêmes, à l'instar de la Webhelp University. Une croissance de 10% est ­attendue sur ce marché entre 2018 et 2020, selon une étude du cabinet d'analyse britannique TechNavio.

La gamification s'inscrit dans toutes les dimensions du blended learning(a) ou formation multicanale. Ainsi, un sondage diffusé en janvier 2019 par l'éditeur Skillsoft auprès de chefs d'entreprises, de responsables des ­ressources humaines et de responsables de la ­formation révèle une préférence pour les ateliers en présentiel (53,6% des répondants), devant les solutions d'e-learning (41,6%). Pour les deux types de solutions, cependant, les préoccupations demeurent identiques: maîtrise des coûts, engagement et ROI sont les maîtres-mots des responsables de formation.

1. Définir sa cible et ses objectifs

"La gamification permet de susciter un ancrage émotionnel des compétences, explique Valéry Nguyen, directeur général EMEA de l'organisme de formation Learning Tribes, propriété du groupe Sitel. Les mises en situation aident à éliminer certains blocages psychologiques." L'appétence pour la pédagogie informelle est plus forte chez les millennials et la génération Z, capables de se projeter et de manipuler aisément les commandes d'un jeu sur desktop ou mobile. Si la proportion des Français adeptes des jeux vidéo atteint 91%(1) entre 19 et 24 ans, elle chute à 73% de 25 à 34 ans, puis à 71% pour les 35-44 ans. Or, 43% des effectifs en centres de contacts ont entre 26 et 35 ans et 28% ont moins de 26 ans(2), soit une cible à la fois friande de jeux vidéo et de jeux de société, utilisables en formation présentielle.

Si le jeu n'est pas en soi un facteur d'apprentissage pour les conseillers, il crée des conditions favorables à la mémorisation(3). Ainsi, il installe une mise en compétition des participants, doit contenir des paliers de réussite clairement identifiables et permet une progression par étapes. Ses objectifs sont multiples: attractivité du parcours de formation durant la phase d'intégration, rappels des connaissances réguliers et peu chronophages, intéressants en particulier pour les conseillers dédiés à une offre complexe dans les secteurs bancaires et de l'assurance, réduction du taux d'attrition. Ainsi, Learning Tribes constate une baisse du taux de turnover à hauteur de 10 points (en France) dans ses entreprises clientes, trois mois après la mise en place de démarches gamifiées.

2. Quels canaux choisir?

Présentielles ou digitales, les solutions ludiques s'inscrivent avant tout dans une perspective de blended learning(a). "Il s'agit de réaliser, en premier lieu, un diagnostic propre à chaque client, de définir des objectifs, puis de gamifier le parcours sur l'ensemble des canaux disponibles", détaille Valéry Ngyuen. Parmi les solutions existantes, les simulateurs comportementaux(b) développés par l'organisme de formation CSP, en partenariat avec l'éditeur Serious Factory, permettent aux conseillers de se connecter via la plateforme de learning management system (LMS(c)) du centre de contacts, au cours de leurs sessions de formation. "Le simulateur se rapproche des conditions réelles d'exercice et le conseiller est confronté à des situations fréquentes, face à un avatar représentant le client. Il interagit avec le logiciel via des quiz. L'outil est aussi adaptable en réalité virtuelle", indique Aurélie Van Dijk, formatrice consultante et chef de projet au sein de CSP.

Des solutions de mobile learning(d) existent également. Learning Tribes utilise WeChat en Chine, Facebook Messenger en Europe pour ses sessions de gamification "pré-onboarding" (phase d'intégration). Un bémol: "Le smartphone doit appartenir à l'entreprise et non au collaborateur", précise Antoine Delplanque, concepteur de l'application CSP Training. Attention, les éditeurs ne proposent pas tous des outils compatibles avec une plateforme LMS, permettant d'implémenter des KPI pour mesurer la réussite de la formation. En termes de temps de développement, comptez un à deux jours/personne (répartis sur un mois environ) pour une solution mobile personnalisée et environ huit jours/personne (sur deux à trois mois) pour un simulateur comportemental sur mesure.

3. Quelles compétences cibler?

"Il importe de choisir des sujets dont la teneur varie peu, notamment pour l'usage d'un simulateur comportemental", met en garde Joëlle Dervillé, coordinatrice de projet pour CSP. En effet, les solutions digitales immersives nécessitent un temps de développement assez long pour faire varier un décor ou changer une question. Un jeu lié à un projet métier régulièrement mis à jour peut ainsi faire exploser les coûts d'ingénierie pédagogique. Un risque moindre sur le canal mobile, pour lequel le développement est plus rapide est moins onéreux. Parmi les thématiques privilégiées pour les supports immersifs, les "soft skills(e)": écoute active, gestion de l'émotivité, empathie, assertivité (capacité à faire valoir son point de vue sans empiéter sur la liberté d'expression de son interlocuteur). Concernant la réalité virtuelle, un ensemble de microcompétences (capacité à rebondir, accueillir, reconnaître un problème, gérer des appels difficiles, se présenter...) est évaluable.

4. Favoriser l'immersion et l'engagement, mesurer

La première mesure d'une formation gamifiée est réalisée directement par les conseillers, grâce à un système de duels. La solution Leaderboard, développée par Learning Tribes, permet des "battles" sur une série de microcompétences et de valoriser les apprenants qui ont les meilleurs scores. "Une solution intégrée au système de formation digital interne (LXP), baptisé Triboo, commente Valéry Nguyen. Les conseillers s'y inscrivent et ont la possibilité d'interagir avec leur communauté." Un lien avec le quotidien professionnel qui favorise l'immersion.

Autre solution: la remise de badges, au fur et à mesure de l'avancement dans le parcours. Il importe qu'un superviseur ou un formateur intervienne après chaque séquence pour faire le point sur les lacunes et les réussites du collaborateur. Ce retour existe parfois à l'intérieur du jeu, via un coach virtuel qui délivre des comptes-rendus personnalisés. C'est le cas pour le simulateur comportemental conçu par CSP. Les séquences ne doivent pas dépasser quelques minutes (de 5 à 30 minutes pour un simulateur comportemental) pour un serious game(f) digital, tandis qu'un jeu de société ou un jeu de rôle peut varier de 30 à 90 minutes.

En parallèle, la mesure des résultats est très demandée par les entreprises clientes. "Nous nous orientons de plus en plus vers la corrélation entre l'acquisition des compétences du conseiller et l'analyse de ses performances", conclut Valéry Nguyen. Cependant, un KPI demeure manquant pour toutes les entreprises interrogées: le ROI spécifiquement lié aux items ludiques. En effet, impossible d'isoler la satisfaction client générée grâce aux compétences acquises par ce biais. De même, difficile de savoir si un simulateur de comporte­ment ou un jeu mobile permet de réduire la durée de traitement des appels. Seule solution: effectuer des tests de compétences après chaque programme et vérifier l'attractivité des modules en diffusant des questionnaires de satisfaction auprès des équipes de conseillers.

(1) Source : étude Statista, 2017.

(2) Étude "La nouvelle promesse de valeur des centres de contacts", réalisée par le SP2C et EY, 2018.

(3) L'analyse menée par les chercheurs Wouters, Van Nimwegen, Van Oostendorp et Van Der Spek, en 2013, réunit 39 études existantes, et conclut que les serious games améliorent l'apprentissage et la rétention des connaissances.

Lexique:


(a) Blended learning: formation multicanale, regroupant les ateliers en présentiel, les leçons, jeux et exercices sur desktop, sur mobile et en réalité virtuelle.
(b) Simulateur comportemental: outil digital style jeu vidéo, qui place le conseiller en situation via un avatar représentant un client.
(c) LMS: logiciel qui gère le parcours pédagogique des collaborateurs d'une entreprise.
(d) Mobile learning: applications sur smartphone contenant des leçons, des quiz ou de petits jeux.
(e) Soft skills: attitudes interpersonnelles.
(f) Serious game: l'appellation regroupe tous les programmes d'apprentissage digitaux à vocation ludique.




Webhelp mêle gamification digitale et physique

Suzel Mouton-Benatya, directrice de la formation Webhelp University francophone, revient sur l'essor des solutions ludiques développées en interne.

L'expérience ludique, au départ simple item dans le cursus des conseillers Webhelp, est en passe de devenir une nouvelle source d'activité à part entière pour l'outsourceur. En complément à son serious game digital dédié aux superviseurs, la Webhelp University vient de concourir au printemps des universités d'entreprise, U-Spring (organisée par BPI Group), pour deux solutions physiques, sous forme de jeux de plateau: L'Impro Kit et Clientely. "Pour l'heure, il s'agit de prototypes, créés pour deux clients, mais nous souhaitons faire connaître Clientely et le diffuser de manière industrielle", affirme Suzel Mouton-Benatya, la directrice de la formation Webhelp University francophone.

Clientely, intégralement développé en interne, implique de répondre à des questions liées à des projets sur lesquels travaillent les conseillers (explication d'une facture à un client, décryptage d'un forfait téléphonique...) et demande de choisir la bonne attitude dans des situations-clés (client mécontent, demande de remboursement...). L'Impro Kit, dédié à la même population, est un kit d'improvisation, constitué d'un ensemble de fiches didactiques indiquant les consignes, la durée de l'exercice et le module de la Webhelp University auquel il se rattache. "Nous souhaitions prendre le contrepied de la tendance actuelle vers le digital et agir sur l'interaction humaine dans le cadre de formations présentielles", confirme Suzel Mouton-Benatya.

Des jeux de rôles destinés aux apprentissages courts

Pour l'heure, L'Impro Kit est disponible uniquement en français, avant une probable traduction en anglais à destination de la Grèce et du Portugal. Utilisé pour des apprentissages de courte durée (pas plus de 10 minutes par jeu), il vise à conserver l'attention, en alternance avec des exercices de respiration, de réflexologie, notamment.

Le volet ludique digital est réservé aux superviseurs. La Webhelp University a, en effet, conçu le serious game Lead the Way, résultat de deux ans de travail, en partenariat avec l'éditeur Manzalab. Cette formation sur mesure représente un investissement de près de 20?000€. "Le NPS du jeu est de 98/100. Il reste l'une des trois formations préférées des encadrants", se réjouit la directrice de formation. Ceux-ci doivent identifier les actions adéquates pour stimuler la motivation de leurs collaborateurs (encouragements, mise en place de récompenses...). De même, Lead the Way entraîne le superviseur à conduire des entretiens professionnels (évaluer, recadrer, féliciter, formuler une critique de manière constructive) ou à répondre à une situation de conflit en faisant preuve d'assertivité (se faire entendre sans empiéter sur la liberté de parole de son interlocuteur). Enfin, la solution propose des épreuves de gestion du temps.

Pour la solution digitale comme pour les boîtes de jeu, la complexité avec les collaborateurs non gamers ou plus âgés concerne la mise en place d'une nécessaire phase d'explication des règles. "Créer un tutoriel n'est pas la bonne solution, met en garde Suzel Mouton-Benatya. Le?formateur doit expliquer les principes de fonctionnement à l'oral." Interrogée sur les bonnes pratiques mises en place par Webhelp en termes de parcours gamifié, la directrice de formation insiste sur la nécessité d'organiser des séances régulières afin de faciliter l'ancrage mémoriel.

Pour l'année à venir, Suzel Mouton-Benatya envisage de développer de nouvelles solutions digitales, en collaboration avec l'éditeur de serious games Gamelearn. "La difficulté provient du fait que nous ne pouvons pas payer de licences à 'l'utilisateur', car nous comptons 18000 collaborateurs sur la partie francophone", regrette-t-elle. Si l'immersion des conseillers est réussie, embarquer la direction dans l'aventure demeure un défi permanent, en raison de la difficulté d'établir un ROI. "Paradoxalement, la direction se montre plus sensible aux serious games, alors que les opérationnels privilégient les jeux de plateau", explique-t-elle. Une logique qui pourrait s'inverser grâce à une production industrialisée de jeux physiques, vendus à l'externe.



 
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