DossierSmart city, e-administration: vers un nouveau dialogue
Smart n'est pas seulement synonyme de "tech". Les initiatives publiques connectées trouvent leur sens dans la construction de nouveaux projets participatifs, dont la logique n'est plus uniquement descendante.
Sommaire
- De la ville connectée à l'e-administration
- Les citoyens réclament des plateformes participatives, non intrusives
- L'essor des civic tech
- La smart administration modernise les échanges entre l'État et les usagers
- Les possibilités nées de l'open data
- [Interview] "Il est beaucoup plus compliqué de modéliser les attentes des citoyens que des comportements clients classiques"
- Saint-Germain-en-Laye, 100% connectée
- Un chatbot à reconnaissance vocale bientôt implémenté
- [Interview] "La ville intelligente se construit avec le citoyen", Emmanuel Haïat
1 De la ville connectée à l'e-administration
À l'échelle de la ville, du département ou des services publics nationaux, la tendance "smart" déferle, avec son lot d'échanges dématérialisés. La smart city, plus petit dénominateur commun, est définie par le Parlement européen comme "une ville qui cherche à résoudre les problèmes publics grâce à des solutions fondées sur les TIC sur la base de partenariats d'initiative municipale et mobilisant de multiples parties prenantes". Ce cadre assurément souple met l'accent sur la dimension ouverte du système: la collectivité "ne peut en effet être gérée de manière complètement centralisée et déconnectée de ses citoyens", affirme Florence Jacquinod, enseignante-chercheuse à l'École des ingénieurs de la ville de Paris(1). D'où une série de bouleversements dans les interactions entre les citoyens et les services publics.
"La collectivité ne peut être gérée de manière complètement centralisée et déconnectée de ses citoyens", Florence Jacquinod
À ce jour, le nombre de villes intelligentes demeure incertain: aucune étude ne les a recensées depuis l'enquête réalisée par le Parlement européen en 2014. L'organisme relevait déjà 90% de smart cities parmi les villes de plus de 500000 habitants en Europe et 43% parmi les agglomérations de 100000 à 200000 habitants.
Si la smart city souffre d'un déficit de notoriété auprès des citoyens, c'est avant tout en raison de son image déshumanisée, centrée sur les nouvelles technologies et intrusive. Ainsi, confrontés à six modèles de villes(2), les Français, Italiens, Britanniques et Allemands se disent attirés vers la "ville-nature" et placent en dernière position la ville connectée. Moins d'un tiers des Français consentirait à partager ses données dans le cadre de la smart city. Une étude riche d'enseignements, qui place la qualité du dialogue et de la relation que sauront instaurer les smart cities avec leurs habitants au centre des enjeux.
2 Les citoyens réclament des plateformes participatives, non intrusives
Car, paradoxalement, les citoyens interrogés par L'Observatoire société et consommation se disent intéressés par une modernisation des services courants et des échanges, à condition qu'ils en comprennent clairement les bénéfices. Pour répondre à cette frustration, des "civic techs" centrées sur la ville locale fleurissent. Ces nouvelles plateformes entendent améliorer la participation des jeunes et des actifs, peu impliqués dans les consultations traditionnelles et les conseils de quartier, notamment via la création de budgets participatifs.
Ainsi, la start-up de démocratie participative belge Citizen Lab arrive en France et propose sa plateforme en marque blanche aux communes. "Citizen Lab est à la fois top-down (consultation des citoyens) et bottom-up car les habitants peuvent faire remonter des idées et des informations à la mairie", explique Julien Joxe, business developer France. La plateforme s'adresse en priorité aux moins de 44 ans, actifs, peu présents aux réunions de quartier et ateliers citoyens. À Liège (Belgique), la mairie rassemble 1000 idées citoyennes par ce biais durant 12 semaines, suivies de 95000 votes. La ville débloque 12 millions d'euros pour réaliser 77 de ces projets, relatifs à la mobilité, l'environnement, la propreté et la civilité. Ces nouveaux services reprennent les fondamentaux des outils d'écoute client.
Les doublons sont en effet éliminés parmi les propositions grâce au natural language processing, technologie permettant de clusteriser les idées par thématiques. "En parallèle, l'interface administrateur, gérée par la mairie, permet de connaître le profil des répondants, affirme Julien Joxe. Il est donc possible de cibler certaines catégories de la population."
3 L'essor des civic tech
Sur un plan national, les civic techs ont essaimé à l'occasion des élections présidentielles de 2017. LaPrimaire.org, voxe.org (comparaison de programmes électoraux) ou Mavoix (tentative de démocratie directe), par exemple, se sont aussi installées durablement dans le paysage public, en tant que nouveaux supports démocratiques.
Preuve s'il en fallait que les attentes des citoyens en termes de facilité d'usage des services publics ne diffèrent pas de celles exprimées vis-à-vis des acteurs privés. Le parcours citoyen est un parcours client comme un autre. Avec l'intensification des interactions, émerge un marché en pleine ascension, qui fait directement appel au savoir-faire des acteurs de la relation client.
4 La smart administration modernise les échanges entre l'État et les usagers
À l'échelle de l'État (administration fiscale, Sécurité sociale, Pôle emploi, notamment), "la dématérialisation des échanges a démarré il y a une dizaine d'années, soit avec un peu de retard par rapport à d'autres pays européens, mais avec une véritable accélération depuis 2012", explique Juan d'Alcantara, directeur du développement, santé et secteur public d'Arvato. L'outsourceur(3), qui possède un pôle dédié à la gestion des contacts entre citoyens et acteurs publics, évoque un plan de simplification des échanges à marche forcée , dans une logique d'accessibilité "Atawad" (anytime, anywhere, any device, soit partout, tout le temps, sur tous les canaux) des services. Ainsi en est-il de la télédéclaration fiscale, mais également du service pre-plainte-en-ligne.gouv.fr, organisé par la Préfecture de police, ou du dispositif Parcoursup, destiné aux bacheliers.
Si les équipes d'Arvato sont soumises à une phase d'acculturation et de formation au service public, la relation avec les administrations doit désormais être aussi fluide qu'avec un retailer. Ainsi, selon le baromètre 2017, Les services publics vus par les Français et les usagers, publié par Kantar et l'Institut Paul Delouvrier, la rapidité de traitement des dossiers et de réponse aux demandes arrive en tête des attentes des usagers (cité par 58% des répondants), suivie par la simplicité des démarches (40%).
Pour y parvenir, certains services incitent les usagers à utiliser les canaux digitaux, à l'instar de l'administration fiscale, laquelle "décide de réduire significativement le canal téléphonique en période de télédéclaration", précise Juan d'Alcantara. Une digitalisation renforcée par la collecte de documents justificatifs par voie numérique, en progression depuis 2013. L'incitation fonctionne, puisque trois Français sur quatre ont réalisé leurs démarches administratives en ligne en 2017, selon le tableau de bord des services numériques publié par le Secrétariat général pour la modernisation de l'action publique (SGMAP), et 90% se sont déclarés satisfaits. "Les services publics collent de plus en plus aux besoins et aux usages, renchérit Juan d'Alcantara. Le rôle des outsourceurs est d'accompagner les administrations lors des phases de transformation, jusqu'à ce que les usages soient adoptés, les équipes publiques formées et les outils complètement déployés."
5 Les possibilités nées de l'open data
Comment passer d'échanges dématérialisés à un service public véritablement smart et responsive? "Les progrès les plus significatifs dépendront de l'accès aux données, notamment grâce à l'open data(4)", tranche Juan d'Alcantara. À l'échelle nationale ou locale, l'analyse de données commence à être utilisée dans le cadre de l'optimisation du parcours administratif, et des dispositifs data driven font leur apparition. Parmi les initiatives les plus récentes figure le projet "Entrepreneurs d'intérêt général", lancé par le SGMAP, en charge de l'ouverture des données publiques. 11 lauréats, à la tête de start-up, sont sélectionnés en février 2017 par un jury présidé par Frédéric Mazzella, fondateur de BlaBlaCar, pour développer l'innovation ouverte au sein de l'administration aux initiatives d'intérêt général portées par la société civile. Ainsi, l'un des lauréats, Frédéric Bardolle, dirigeant de Data For Good, travaille à la création d'un chatbot pour que le grand public puisse interroger simplement les données extraites des rapports de la Cour des comptes, sur une entreprise ou un thème particulier.
Dans ce foisonnement naissant d'interactions ascendantes et descendantes, et de données devenues publiques, la question de la médiation promet de devenir un enjeu central. Un créneau à surveiller pour les professionnels de la relation client, spécialistes de l'optimisation des échanges.
(1) Lors du petit-déjeuner organisé par l'Institut d'aménagement et d'urbanisme, sur le thème: "Quels outils numériques pour concevoir et gérer la ville de demain?".
(2) Interrogés dans le cadre de l'"Observatoire des usages émergents de la ville", réalisé par L'Observatoire société et consommation et le cabinet Chronos.
(3) Sollicité, Arvato ne communique pas sur le volume d'affaires généré par le secteur public ni sur la liste des administrations clientes.
(4) Depuis le 7 octobre 2018, les communes de plus de 3500 habitants et de plus de 500 agents ont l'obligation de diffuser dans un standard ouvert les informations qu'elles détiennent. Ces données ne sont pas anonymes ou privées, mais publiques. Les données sont hébergées sur les systèmes d'information de l'État.
La digitalisation des échanges et la prise de conscience du dialogue nécessaire entre les pouvoirs publics et les administrés amène à la création de nouveaux modèles participatifs.
6 [Interview] "Il est beaucoup plus compliqué de modéliser les attentes des citoyens que des comportements clients classiques"
Pensez-vous que la smart city permette un rapport plus personnalisé entre la ville et le citoyen?
C'est l'un de ses objectifs, et en même temps une grande difficulté. La "ville intelligente" est conçue pour offrir le meilleur service, aux meilleures conditions, à l'ensemble des usagers de la ville. C'est-à-dire les habitants, les consommateurs de service, les citoyens ou encore les contribuables que nous sommes tous. L'utilisation de nombreuses sources de données vise à rendre un service optimal, donc personnalisé puisque adapté aux besoins de chacun. C'est le cas des dispositifs de plus en plus intégrés et data driven qui voient le jour en matière de mobilité.
Comment passer d'une gestion collective hyper-technique, reposant sur un recueil massif de données à un système qui associe le citoyen aux décisions?
Il est beaucoup plus compliqué de modéliser la gestion urbaine, et les attentes des citoyens, que des comportements clients classiques. De ce point de vue, la ville intelligente ressemble plus à l'industrie 4.0 qu'au commerce en ligne. Avec en plus une exigence démocratique: les citoyens souhaitent être associés aux décisions et pouvoir contrôler les choix faits par leurs élus. Pour cela, il est indispensable d'ouvrir des espaces de dialogue et de participation.
Comment gérer les données générées par ces nouvelles interactions?
C'est un vrai débat! Les données utilisées pour gérer une ville sont des données particulières. Il y a d'abord nos données personnelles, soumises au RGPD, mais pas seulement. Plusieurs études le montrent: les Français ont confiance dans la manière dont sont gérées et utilisées leurs données par les services publics, bien plus que par des opérateurs privés et a fortiori des enseignes commerciales. Mais cette confiance est fragile! Le syndrome Big Brother peut surgir à tout moment. Il faut donc des garanties. Par ailleurs, les données utilisées sont aussi des données que la loi qualifie de données d'intérêt général , c'est-à-dire des données que les pouvoirs publics doivent pouvoir maîtriser et protéger.
La tendance à venir, car nous sommes au tout début du déploiement de plateformes de données urbaines, pourrait être que les acteurs publics (les collectivités locales) conservent la responsabilité de l'organisation des données. Des acteurs tiers (associations citoyennes notamment) pourront peut-être jouer un rôle de médiateurs.
* Jacques Priol est l'auteur de "Le big data des territoires: les nouvelles stratégies de la donnée au service de l'intérêt général", qui revient sur les implications sociales de l'e-collectivité.
Jacques Priol, spécialiste de la donnée publique et de la smart city, président de Civiteo, revient sur la gestion des données générées par les nouvelles interactions entre les citoyens et l'administration.
7 Saint-Germain-en-Laye, 100% connectée
"Notre engagement en matière de déploiement d'un Internet citoyen est déjà très ancien, et nos actions menées en faveur de l'e-administration, l'e-inclusion et l'e-démocratie confortent notre objectif: penser "usages citoyens", en facilitant la vie de nos administrés", affirme Arnaud Péricard, maire de l'agglomération. En témoignent le lancement des Facebook Live en octobre 2017, la création de blogs dédiés aux consultations citoyennes, mais également la boîte à idées numérique développée en 2014, un site web institutionnel ouvert aux commentaires des habitants. Pour un coût de "moins de 100000 euros pour la refonte des trois sites web et environ 21000 euros pour l'application mobile depuis son lancement, hors coûts de maintenance annuels", selon Flora Queiroz, chef de projet digital au cabinet du maire, la mairie compte désormais 12800 abonnés aux alertes push de l'application, 1122 fans sur Facebook, 4700 followers sur Twitter et 2100 abonnés à Instagram.
La gestion des projets, assurée par la municipalité (chef de projet digital et DSI), implique le recours à plusieurs prestataires. Ainsi, le Portail Famille+ est développé et hébergé par l'éditeur de logiciels Arpège, tandis que le nouveau site de la ville a été conçu par l'agence digitale Artifica. "En règle générale, le suivi des projets est réalisé avec la nomination d'un chef de projet côté prestataire, qui nous accompagne durant toute la phase de conception, développement et mise en ligne du projet", indique Flora Queiroz.
8 Un chatbot à reconnaissance vocale bientôt implémenté
Dans la même logique de "smart administration", la commune prévoit d'implémenter d'ici à la fin de l'année un chatbot à reconnaissance vocale (développé par la start-up EA4T et géré par la chef de projet digital au cabinet du maire) sur les plateformes web, les réseaux sociaux et éventuellement le standard téléphonique. "Les Saint-Germanois, très connectés, sont toujours réceptifs et adhèrent assez rapidement aux solutions qui leur font gagner du temps, précise Flora Queiroz. Les générations X et Y qui consomment aujourd'hui nos services n'imaginent plus prendre une demi-journée pour effectuer des démarches simples." L'objectif: limiter les échanges chronophages et répétitifs, sans valeur ajoutée.
Au-delà des outils numériques, les équipes coconstruisent les services via la création d'une nouvelle entité: "Pour construire ensemble une ville intelligente, nous avons choisi de nous appuyer sur l'intelligence collective des Saint-Germanois en créant un Conseil local du numérique constitué de citoyens experts dans leur domaine, pour façonner une smart city, en fonction des réalités et des contraintes de notre ville et des besoins de ses habitants", indique Arnaud Péricard. Une logique participative en pleine ascension au sein des villes connectées.
La ville de Saint-Germain-en-Laye développe son écosystème web depuis le lancement de son premier site institutionnel, en 1999.
9 [Interview] "La ville intelligente se construit avec le citoyen", Emmanuel Haïat
Quelles sont les initiatives qui font de Saint-Germain-en-Laye non seulement une smart city, mais aussi une responsive city?
Une smart city est une ville connectée, inclusive et éco-responsable. Il ne s'agit pas d'une addition de technologies: la ville intelligente se construit avec le citoyen. Nous avons mis en place la "smart administration" dès 2007: un guichet virtuel, qui donne accès 24h/24 à un vaste bouquet de démarches en ligne. Cela vient en complément du Portail Famille Plus, qui permet de faire 60% des démarches en ligne: simulation du quotient familial, demande de places en crèche, abonnement aux factures dématérialisées, paiement des factures scolaires. Pour les familles recomposées, chaque parent peut créer son compte et réserver des activités en fonction du calendrier de garde alternée. Les citoyens ont des besoins en dehors des heures d'ouverture de la mairie et attendent une grande réactivité via ces outils.
Quid des oubliés du numérique?
En France, 20% des usagers du service public déclarent rencontrer des difficultés pour accomplir des démarches administratives courantes en ligne. Nous conservons donc un service papier et organisons des ateliers dans les médiathèques ou le club seniors pour que cette population puisse se former.
Dans un contexte de profusion de données et d'interactions, comment jouer le rôle d'organisateur et de médiateur?
Nous associons les citoyens aux projets urbains, via les conseils de quartier notamment, les sondages, des Facebook Live. Nous travaillons à une refonte de l'application mobile, qui sera bientôt plus participative. Nous réfléchissons aussi à la mise en place de panneaux connectés qui permettent aux habitants, dans un quartier précis, de voter pour un sondage ou de donner leur avis.
Emmanuel Haïat, conseiller municipal à la smart city de Saint-Germain-en-Laye, revient sur les initiatives de "smart administration" et d'e-démocratie en cours de déploiement dans sa commune, l'une des pionnières en la matière.
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