[Tribune]?L'omnicanal est-il un leurre ?
Avec la Paris Retail Week qui débute le 10 septembre prochain, l'omnicanal va être présenté, de nouveau, comme la panacée. Mais pour les retailers, la réalité consiste en de lourds investissements amenant une baisse mécanique de la rentabilité. L'omnicanal est-il un leurre?
Je m'abonneVivarte, Tati, Toys'R'us, La Grande Récré Ludendo mais également Carrefour, Fnac Darty ou H&M montrent que la transformation digitale, et l'un de ses rejetons l'omnicanal, ne peuvent plus attendre. Une croissance atone de la consommation des ménages, des marges sous pression, un équipement commercial saturé sont le quotidien de la plupart des retailers français -et cette situation ne s'améliorera pas à court ou moyen terme. Pourtant, il ne s'agit pas que d'accroître les dépenses et investissements pour atteindre l'omnicanalité mais de procéder à des réallocations drastiques.
La nécessité de réinventer les points de vente
La priorité est de désinvestir dans les magasins physiques actuels pour allouer les budgets nécessaires au SI et à la data. Réduire fortement les dépenses en communication au profit d'une véritable stratégie relationnelle ambitieuse devient également une nécessité dans un contexte d'earned media. Rendre agiles offre, prix et flux pour coller au marché, accroître sa productivité par la simplification des process, deviennent des objectifs vitaux.
Tout cela fait consensus et il n'y rien de nouveau dans ces recommandations. Si ce n'est que ces actions doivent être mise en oeuvre maintenant et surtout qu'il est vital d'aller au-delà. Leur réalisation ne permettra aux retailers que de "gagner du temps", au risque de les transformer peu à peu en zombies, drogués à la promo et à la réduction des coûts. Avec les perspectives d'avenir que l'on peut aisément imaginer.
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En effet, ce qui est au coeur de la problématique de la transformation digitale des retailers, ce n'est pas que le digital, c'est la nécessité de réinventer la raison d'être des magasins, pour donner au client, qui a dorénavant le choix, de bonnes raisons de se déplacer. On peut appeler cela "expérience client" ou "UX", peu importe, ce qui est en jeu c'est de proposer un "retour sur investissement" (ROI) au client pour sa visite en magasin. Ce ROI s'évalue, tout comme pour les dispositifs digitaux, par rapport au temps passé et à la charge cognitive que le client va investir pour se rendre en magasin et y réaliser ses achats. La clef de la transformation du magasin physique se résume ainsi: temps passé x charge cognitive = ROI.
Les véritables innovations du retail pour répondre à cette nouvelle exigence client n'ont pas été créées par les membres du sérail mais par des industriels (Nespresso-Nestlé, Apple), des digital natives (telles Warby Parker, Bonobos) sans oublier, bien sûr, Amazon Go.
La technologie n'a pas réponse à tout
Il est vrai que plus les retailers investissent dans la transformation digitale plus ils accroissent leurs coûts, sans arriver à aller au-delà de la cannibalisation de leurs ventes en magasins par leurs sites e-commerce. Pour tout point de croissance de leur activité en ligne, les retailers font baisser leur marge d'un demi-point.
La technologie seule ne résoudra rien si le rôle du magasin physique n'est pas totalement reconfiguré. Et il ne s'agit pas d'ajouter des écrans, robots ou autres vitrines interactives mais d'apporter des promesses claires de retour sur investissement pour le client, assis dans son salon, afin de justifier sa venue en magasin.
Le combat n'est pas perdu d'avance mais ce serait une erreur de croire en la fable d'une solution omnicanale se réduisant à l'investissement technologique, un empilement de fonctionnalités digitales. Et de penser que cela permettra de laisser l'orage passer. La transformation digitale du retail exige de l'audace, du courage, de la ténacité et beaucoup de pédagogie. Elle nécessite de faire des choix drastiques, de donner des priorités claires dès aujourd'hui.
Fondateur et dirigeant de Vuca Strategy, cabinet conseil spécialisé en e-commerce et en transformation digitale, Jean-Paul Crenn (ISG, MBA HEC) est et a été dirigeant d'entreprises d'e-commerce. Il enseigne auprès de l'ESCP Europe, la Toulouse School of Management et de la Toulouse Business School. Il est l'auteur des ouvrages: "Le Vador, Réussir son e-commerce", "Ce monde est-il fou? Non, il est Vuca", "Quel prix dans un monde devenu Vuca? Optimiser le levier N°1 de la rentabilité", "L'Internet des objets : la 3e révolution informatique". Jean-Paul Crenn participe au think tank NXU - Next Humanity.