"Donner une couleur à son style sans sortir du dialogue", Jeanne Bordeau
Jeanne Bordeau, fondatrice de l'Institut de la qualité d'expression, dévoile l'importance du design verbal dans le discours des entreprises et leurs échanges avec leurs clients.
Je m'abonneQuelles sont les applications des contenus de marques?
Ces derniers se rangent dans quatre grandes catégories: les contenus de marque serviciels, pédagogique, ludiques et créatifs. Le contenu créatif n'est pas du storytelling, même s'il en utilise les codes. C'est du brand content.
Pour rattraper le décalage avec leurs clients, les entreprises doivent-elles utiliser un langage plus pragmatique?
Le consommateur va où il veut, il est difficile à apprivoiser. Donner une couleur à son style demande à une entreprise beaucoup de réflexion sur une stratégie éditoriale transversale, dotée d'une véritable cohérence. Il s'agit de dire moins mais mieux. La pédagogie ne crée pas beaucoup de conversation avec le client. Aller chercher l'autre et se montrer direct demande une vraie qualité de voyage. La tonalité est importante.
L'écriture a changé: elle doit être concrète, réactive, courte mais dense. La synthèse ne doit pas être une simplification. Le tutoriel fait partie de la cohérence de la ligne éditoriale et est plébiscité par les consommateurs.
Dans quelle mesure la percée de l'IA pèse-t-elle sur l'expression des entreprises?
L'intelligence artificielle aide à modéliser la parole. Grâce au deep learning, le robot se nourrit du vocabulaire de son interlocuteur. Nous travaillons beaucoup sur le langage des chatbots, qui parlent au nom de la marque. Un robot peut avoir un ton mais il est très difficile d'être dans le dialogue tout en restant naturel.
Avec les réseaux sociaux, le langage de la marque n'est-il pas d'abord celui de ses clients?
L'entreprise qui parle juste sait ce qu'elle veut dire mais n'oublie pas d'écouter. Par exemple, une compagnie d'assurances souhaite conserver son ton propre mais lorsque les consommateurs sont aiguillés sur ses centrales téléphoniques, les mots utilisés doivent être ceux que nos consommateurs comprennent. Le discours de l'entreprise n'est plus une parole d'autorité. C'est pourquoi, dans les ateliers dédiés au langage de marque, au milieu des data scientists et des plumes, doivent se trouver des linguistes, observateurs de la langue utilisée par les clients. Nous remarquons une diversité nouvelle dans l'organisation des grands comptes lorsqu'il s'agit de problématiques liées au langage (designers verbaux, experts SEO, experts en contenu).
Vous indiquez que Facebook est le moyen d'expression préféré des consommateurs. Est-ce à dire que les entreprises doivent également favoriser ce canal par rapport à Twitter?
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Twitter peut également être éditorial ou être utilisé dans le cadre du service après-vente. Chaque marque doit utiliser les canaux qui lui vont. Cependant, même lorsque le territoire d'expression de l'entreprise est visuel, il devrait être assorti de quelques éléments de langage.
Quelle est la place du signifiant (caractéristiques propres de chaque mot, telles que la sonorité) dans cette rhétorique des entreprises?
En termes de linguistique, je suis totalement structuraliste. Le verbe est le moteur de la phrase, ce qu'une marque comme Nike comprend avec son slogan "Just do it". Une charte de langage ne peut comporter une seule liste de mots car les termes n'ont de sens que dans la relation qu'ils entretiennent entre eux dans une phrase.
Certaines marques croient s'exprimer très sincèrement à tort, à l'image d'un acteur du tourisme convaincu d'être très relationnel et qui, pourtant, n'utilisait aucun verbe d'accueil.
De même, une compagnie aérienne nous a fait intervenir sur quelques pans de son site, pour y apporter plus de clarté et de courtoisie. Cela a entraîné une hausse de 20% de vues. Je ne crois pas, en effet, qu'il faille uniquement faire rire en ligne. Certaines identités d'entreprise ne s'y prêtent pas. En parallèle, il importe de ne pas étouffer son contenu sous des jeux. Le contenu gagnant reste serviciel et très pédagogique, à condition de se montrer utile mais non donneur de leçons, en passant, par exemple, par la vidéo.
Comment l'entreprise peut-elle faire de son discours un service?
L'entreprise doit indiquer qu'elle examine avec soin le problème et promettre par exemple un appel dans les 48 heures: le on line doit être relié de l'oral. Ou il faut que l'entreprise ait suffisamment bien modélisé ses réclamations. Leroy Merlin a d'ailleurs mené une politique astucieuse en indiquant ensemble les avis de clients satisfaits et mécontents. Les clients pouvaient ainsi peser le pour et le contre d'un coup d'oeil. Les entreprises sont à l'adolescence du maniement du langage sur le digital. Il faut faire moins et mieux.