[Dossier] Favoriser la relation collaborateur, une stratégie payante
Considérer ses collaborateurs au même niveau que ses clients. Cette stratégie managériale qui consiste à favoriser l'autonomie, la cocréation et la satisfaction des salariés inspire de plus en plus d'entreprises. Pour celles qui l'ont déjà testée, cette stratégie semble porter ses fruits.
"Les employés d'abord, les clients ensuite" est une approche managériale. C'est une philosophie, un ensemble d'idées, une façon de voir la stratégie et l'avantage concurrentiel. [...] Nous apportons aux collaborateurs de la compréhension, de l'aide, de la confiance et du respect [...]." Voici, en résumé, dans une tribune publiée sur le site de Forbes, en juin 2010, la vision managériale de Vineet Nayar, l'ancien p-dg de la société informatique HCL Technologies et auteur du livre Les Employés d'abord, les clients ensuite : Comment renverser les règles du management.
Le dirigeant indien prône, entre autres, l'inversement de la pyramide organisationnelle et le transfert du pouvoir aux employés, qui sont les premiers à créer de la valeur au sein de l'entreprise. Une vision inspirée, déjà en 2007, dans l'ouvrage de Charles Ditandy et Benoît Meyronin, Du Management au marketing des services. Revendiquée par l'Académie du Service, la notion de symétrie des attentions "affirme que la qualité de la relation entre la marque et ses clients est égale ou corrélée à la relation entre l'entreprise, ses collaborateurs ou fournisseurs", définit Jean-Jacques Gressier, p-dg du cabinet de conseil.
Mais pourquoi apporter autant d'attention aux collaborateurs ? Tout simplement dans le but de satisfaire au maximum les clients et de générer, par conséquent, de la performance économique. C'est du moins l'argumentaire des spécialistes de la culture du service. "Avant d'améliorer le parcours ou l'expérience client, il faut transformer le management. Cet enjeu a un impact fort sur le taux de transformation et le chiffre d'affaires", poursuit Jean-Jacques Gressier. Selon les travaux de BC Stats, organisme d'études canadien, lorsque 80 % des employés manifestent un engagement fort, la satisfaction client est de l'ordre de 80 % également: les deux courbes seraient ainsi indissociablement liées.
Moins d'échelons hiérarchiques
Interviewé dans La Tribune du 20 décembre 2012, Carlos Verkaeren, président du groupe, revient sur cette stratégie : "Deux échelons hiérarchiques ont complètement disparu et cela a libéré beaucoup d'énergies et de créativité en interne. La notion de liberté et d'autonomie a pris beaucoup d'importance. Désormais, les équipes de production gèrent elles-mêmes leurs emplois du temps ou les contrôles qualité. Je suis convaincu que lorsque l'on donne suffisamment de liberté et de reconnaissance à un individu, ce dernier peut donner le meilleur de lui-même. Par ailleurs, chacun au sein de l'entreprise est encouragé à innover", explique-t-il. Un pari qui a payé. Selon Le Figaro, entre 2005 et 2012, la taille de l'entreprise a quasiment quadruplé ; et en 2013, le groupe affichait un CA de 190 millions d'euros. Certes, il ne s'agit pas là d'équipes exclusivement dédiées à la relation client.
Pour autant, le parallèle entre autonomie et performance des collaborateurs donne matière à réflexion. Qui dit considération des collaborateurs dit également écoute de ces derniers. "La vision pyramidale et descendante est ainsi remplacée par une politique plus collaborative", note Tatiana Marot (IDCC). Dans le cadre d'une telle stratégie, les salariés sont amenés à apporter leur réflexion sur la gestion de la relation client, l'organisation, mais aussi le management. C'est ce que fait la Société Générale depuis 2011, qui invite ses équipes en agence à partager leurs idées d'amélioration du service.
Autre axe de satisfaction des salariés : la prise en compte de la facilité client et collaborateur. Cette idée s'inspire de la notion d'effort client - reposant sur le Customer Effort Score (CES) - indicateur présenté par l'AFRC et le cabinet GN Research en 2013. "Si l'entreprise facilite la vie des clients, mais pas des collaborateurs, la complexité se reporte sur le travail des collaborateurs et inversement. Les clients et les salariés doivent donc être coproducteurs du service et interdépendants", détaille Emmanuel Richard (Extens Consulting). Ainsi, il conviendrait de réaliser une étude miroir sur les points du parcours client (souscription, extension, SAV, changement de coordonnées, résiliation, etc.) pour ensuite définir des actions d'amélioration de ce parcours client.
"Il faut recueillir la façon dont les clients vivent l'expérience et comment les collaborateurs qui y contribuent la vivent également", indique Emmanuel Richard qui propose un nouvel indicateur, le C2ES. Le Customer Employee Easy Score calcule la notion d'effort de chaque partie (collaborateurs et clients) à travers une échelle de 1 à 4 - très facile, facile, difficile, très difficile - et six dimensions de l'expérience : navigation, relationnel, physique, financier, temps et compréhension. Cette notion rappelle le principe de client interne. Si elle s'engage dans la voie de la symétrie des attentions, l'entreprise doit faciliter la vie des salariés en contact avec les clients au travers des process et de l'organisation, car comme la rappelle Vineet Nayar, ce sont eux qui créent de la valeur, particulièrement dans l'univers des services.
Plus d'autonomie pour plus de performance ?
En France, l'idée fait son chemin. De plus en plus de sociétés s'y intéressent de près. "Nos entreprises clientes disent en avoir de plus en plus besoin pour conquérir des parts de marché. Mais, pour cela, il faut passer des discours aux actes", prévient le p-dg de l'Académie du Service. Un passage qui n'est pas sans difficultés, comme le confirme Tatiana Marot, chef de projet formation à l'Institut du Contact Client (groupe EFE): "Ce projet doit être porté par la direction et le top management en relation directe avec les collaborateurs. Cela implique de revoir la posture des managers, un changement qui n'est pas évident." En effet, mettre en place une culture consistant à considérer ses collaborateurs au même niveau que ses clients nécessite un véritable changement de paradigme pour l'entreprise, les premiers acteurs concernés étant les dirigeants. Ces derniers doivent impulser ce changement, et en parallèle, remettre totalement en question l'organisation à tous les niveaux de l'entreprise. "Le manager a souvent du mal à évoluer. C'est pourquoi il doit être accompagné sur l'évolution des attitudes managériales, recevoir une formation, et percevoir ce changement comme positif", insiste Jean-Jacques Gressier.
Mais qu'est-ce que cette évolution implique réellement? Dans un premier temps, cette stratégie vise à laisser plus d'autonomie aux salariés. Parmi les exemples le plus souvent cités, celui de Zappos, vendeur américain de chaussures et de prêt-à-porter en ligne. "Chez Zappos, les collaborateurs travaillent selon une logique totale d'autonomie dans la gestion des clients. Leur donner de la marge de manoeuvre représente pour l'entreprise une chance de créer de la performance et de la fidélisation client", explique Emmanuel Richard, directeur général associé d'Extens Consulting. Un point de vue corroboré par Jean-Jacques Gressier : "Les clients rejettent la robotisation ; ils attendent des personnes autonomes, capables de faire preuve d'intelligence relationnelle et de leur offrir un service personnalisé." Malgré tout, Emmanuel Richard considère que tous les salariés ne sont pas tous capables d'atteindre un certain niveau d'autonomie : "Il faut trouver la juste mesure, car les collaborateurs ne peuvent pas et ne souhaitent pas tous gérer le même niveau d'autonomie, certains peuvent d'ailleurs se retrouver désorientés. Ce n'est pas une démarche unique et standard : elle dépend de l'activité, du secteur, du niveau de compétences des personnes."
Dans un autre domaine que la gestion de la relation client, l'autonomie des salariés a fait ses preuves. C'est le cas du groupe de biscuiterie Poult, fournisseur des enseignes de grande distribution. Alors en difficulté financière, l'entreprise voit son organisation managériale révolutionnée.
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