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Les villes moyennes, dernier rempart contre la délocalisation

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Le constat est sans appel : aujourd'hui la région parisienne subit une fuite en avant des centres d'appels. Une pénurie de main d'oeuvre, de surcroît jugée trop chère, une forte instabilité sociale, un taux de turn-over élevé et des locaux mal adaptés semblent justifier un tel phénomène. Et même les grandes villes de province commencent à saturer. Conséquence : les centres d'appels élisent domicile dans des villes de taille moyenne, voire pour certains, à l'étranger...

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Quitter Paris et sa région, mais pour aller où ? Globalement là où la concurrence est moins présente. Les zones géographiques qui ont la cote aujourd'hui sont de plus en plus des villes de taille moyenne, situées pour la plupart entre 1 h 30 et 2h de TGV de Paris, voire à une heure d'avion. Pourquoi ? Tout d'abord parce que les grandes agglomérations comme Bordeaux, Lille ou Lyon ne disposent désormais plus de capacités d'accueil suffisantes et, parallèlement, parce que les chefs d'entreprise ont pris conscience que ces grandes villes tendaient à reproduire assez rapidement les désagréments rencontrés en région parisienne. « Les grandes métropoles sont devenues des noeuds de concentration d'entreprises concurrentes qui encouragent un taux de turn-over élevé chez les employés », explique Philippe Clogenson, directeur général du développement de Bertelsmann Services. Les grandes métropoles ne semblent donc plus avoir la cote : les patrons de centres d'appels qui décident de s'installer en province sont de plus en plus à la recherche de régions qui ne jouent pas à guichet fermé avec une concentration de centres d'appels "à ne plus savoir qu'en faire". Désormais, pour certains, la bonne décision consiste à aller là où il n'y a personne, ou presque.

S'ISOLER POUR FUIR LA CONCURRENCE ET MIEUX MAÎTRISER LA MAIN D'OEUVRE LOCALE


Investir des zones ou des régions encore vierges de centres d'appels : une démarche que beaucoup pourraient qualifier d'originale. « C'est davantage un pari qui consiste à éviter de recréer en province le turn-over connu en région parisienne. D'ailleurs, je ne comprends toujours pas pourquoi mes confrères ne procèdent pas de la sorte. C'est tout simplement une question de bon sens : ils vont tous au même endroit et recréent le phénomène de concentration que connaissent les villes de Poitiers, Amiens ou Bordeaux. Partir en province pour connaître les mêmes désagréments qu'à Paris me paraît insensé », explique Serge Gracieux, président directeur général d'e-Sama. L'objectif de cet outsourcer était de maîtriser et fidéliser ses troupes par l'isolement, en trouvant une ville sans centre d'appels et à la fois facile d'accès, proche de Paris en temps de transport et dotée d'un bassin d'emploi suffisant. Et c'est la ville d'Angoulême qui fut sélectionnée. En adoptant cette stratégie, Serge Gracieux s'exposait néanmoins à un risque de taille majeure : celui de recruter du personnel non formé. Mais, finalement, il a préféré investir en la matière plutôt que d'hériter de profils déjà formés par la concurrence. Après un an d'exploitation, les objectifs semblent avoir été atteints : le taux de turn-over et d'absentéisme seraient proches de zéro, une trentaine de personnes ont pu être recrutées très rapidement et employées à temps plein. S'implanter dans des régions encore peu investies par la concurrence, c'était également la volonté de Bertelsmann Services lors de l'ouverture, en 1998, de ses centres d'appels sur Lens, dans le Nord-Pas-de-Calais. « A l'époque, ce qui nous a poussé en grande partie à nous installer à Lens, c'est que la région n'avait pas encore été envahie par les concurrents. En outre, un tel choix devait nous permettre, contrairement aux grandes villes massivement dotées de centres d'appels, de mieux fidéliser la main d'oeuvre locale et d'éviter ainsi un turn-over élevé chez les employés », confie Philippe Clogenson. Il appartient également aux collectivités et aux agglomérations de faire un effort en la matière. Il ne suffit pas en effet de vouloir à tout prix accueillir n'importe quels centres d'appels, sous prétexte de vouloir créer de l'emploi local. A elles de gérer correctement leurs implantations en diversifiant, sous peine de reproduire effectivement très rapidement le modèle parisien avec un taux de turn-over très élevé. Un sentiment partagé par Dominique Lemoine, chargé des implantations tertiaires à l'ADEAR (Agence de développement de l'agglomération de Rouen). Ce dernier met en garde contre l'effet d'aubaine. Il ne va pas jusqu'à prôner l'isolement, mais il encourage fortement la diversification métier : « Soit les villes accueillent à tout va les centres en tirant sur tout ce qui bouge et elles vont finir par se retrouver avec des centres d'appels concurrents les uns des autres avec pour conséquence directe de voir des téléconseillers se balader d'un centre à l'autre, soit elles choisissent d'être plus raisonnables et elles font dans ce cas le choix de n'accueillir que des centres spécialisés dans différents métiers. »

LA RÉGIONALISATION POUR STABILISER LA MASSE SALARIALE


« Dès lors que nous avons installé notre premier centre d'appels en province, nous avons pu très rapidement constater une nette diminution du taux d'absentéisme dans les équipes et parallèlement une rotation des effectifs beaucoup moins importante », se réjouit José Caride, vice-président des opérations Europe de Call Center Alliance. Avec un siège social situé dans le 15e arrondissement de Paris et trois centres d'appels implantés en province dont Poitiers et Rouen, l'outsourcer affirme avoir pu, par le biais de cette régionalisation, réduire fortement ses coûts en ressources humaines et avoir attiré sur place du personnel beaucoup plus pérenne. Mais l'entreprise n'a pas souhaité pour autant jouer la régionalisation à 100 %. En effet, les équipes provinciales sont recrutées à des niveaux bac + 2 et dédiées à des tâches qui ne nécessitent pas de très grandes compétences. En revanche, les trois centres parisiens, à forte valeur ajoutée (santé, web call center), sont maintenus car ils imposent de recruter du personnel hautement qualifié (dont des diététiciens). Pour mener à bien ces différentes implantations, Call Center Alliance emploie depuis près d'un an une personne chargée des implantations et des relations avec les différentes instances locales. Il faut savoir qu'une installation requiert en moyenne une vingtaine de jours homme rien que pour la constitution des dossiers. Il faut ensuite compter environ quatre mois pour que l'installation soit effective. La régionalisation oui, mais pas au point de quitter définitivement Paris ou sa région. Telle est le choix d'Infomobile, dont le siège social est situé à Gyuancourt. Les raisons qui ont poussé l'entreprise à ouvrir, en novembre 2000, un centre de 230 positions à Bourges tiennent évidemment aux sempiternels problèmes de coûts des locaux et de main d'oeuvre dans la capitale. « Sur Paris, nous rencontrons d'importants problèmes de turn-over et de recrutement et les prix de l'immobilier, même s'ils ont récemment baissé, restent abominablement chers ; nous devions donc impérativement faire reposer nos activités sur plusieurs bassins d'emploi pour éradiquer cette inflation. En revanche, pas question pour autant de supprimer notre centre d'appels parisien car même si la région connaît un taux de turn-over très important, elle nous permet de compléter les autres centres en matière de personnel : il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain ! », confie Servan Lacire, directeur général d'Infomobile.

ELOIGNER SON CENTRE D'APPELS DU SIÈGE SOCIAL : UN VRAI DILEMME POUR CERTAINS


Partir de Paris tout en y restant pour pouvoir ainsi bénéficier de plusieurs bassins d'emploi, une décision qui ne doit pas être prise à la légère. On le sait, la région Paris Ile-de-France n'est plus suffisamment concurrentielle en termes de coûts. D'un autre côté, l'éloignement du siège social peut parfois se révéler un véritable handicap et engendrer des problèmes de communication au sein de l'entreprise. Pour certains, la problématique est très simple : il suffit d'implanter le centre d'appels à une ou deux heures de TGV du siège, de manière à pouvoir faire facilement un aller-retour en cas de problème. C'est notamment le cas d'Infomobile qui, lors de la rédaction du cahier des charges préalable à l'implantation de son centre de Bourges, s'était donné comme impératif de ne pas se localiser à plus de deux heures de trajet de son siège social. « C'était la condition sine qua non, ceci pour des raisons de management et d'encadrement et également pour que nos superviseurs et chefs de projets puissent se réunir relativement souvent. Et dans le futur, tous nos centres d'appels seront, dans la mesure du possible, situés assez près de notre siège pour des raisons de frais généraux et de management du personnel », précise Servan Lacire. Même impératif pour la société e-Sama : « Un trajet en train de l'ordre de deux heures et de surcroît sur une grande ligne nous permet de ne pas rencontrer au jour le jour de problème lié à l'éclatement géographique de notre siège et de notre centre d'appels d'Angoulême », déclare Serge Gracieux. L'équation sera différente selon qu'il s'agira d'un centre d'appels exploité en interne ou d'un outsourcer. En effet, l'externalisation impose de contrôler davantage les coûts et d'être en permanence très réactif face à des clients toujours plus exigeants : c'est pourquoi il serait déraisonnable de s'imposer des coûts supplémentaires engendrés par des frais de déplacements fréquents. Un vrai dilemme. Pour certains, mieux vaut encore subir les inconvénients inhérents à Paris et à sa banlieue. C'est le choix qu'a fait, il y a moins d'un an, Jack Mandard, P-dg de compuBase, lors de son déménagement d'Evry, dans l'Essonne. Ce dernier estime en effet ne pas diriger une entité d'une taille suffisamment importante pour pouvoir se permettre d'éclater géographiquement entité de production et entité commerciale : « Au sein d'une entreprise, il y a ce qu'on appelle l'effet "machine à café", c'est-à-dire toute l'information non formelle partagée dès lors que l'ensemble du personnel travaille dans les mêmes locaux. Une telle information est primordiale pour la cohésion d'entreprise et rien ne pourra la remplacer, pas même la technologie avec le mail et le téléphone », explique le P-dg. Ce dernier déconseille fermement d'éloigner un centre d'appels du siège social si l'entreprise emploie moins de 100 personnes, ce qui est son cas. « Nous avions pourtant étudié la possibilité d'implanter un centre d'appels en Irlande, principalement pour des questions de coûts de la main d'oeuvre et de loyers, mais, après examen approfondi, nous nous sommes aperçus qu'un tel éloignement ne serait pas gérable socialement parlant et nous avons du y renoncer », conclut Jack Mandard. Et plutôt que d'émigrer au pays du trèfle à quatre feuilles, compuBase a choisi de quitter Evry au profit des Ulis.

 
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Christelle Levasseur

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