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Laurent Uberti (SP2C). « Responsabiliser tous les acteurs de la chaîne »

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Le tout nouveau Syndicat des profes­sionnels des centres de contacts (SP2C) entend s'attaquer aux problèmes du secteur - pérennité des entreprises, image, développement de l'emploi, conditions de travail... - en établissant de nouvelles relations avec les donneurs d'ordres et les syndicats. Les explications de son président.

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Quelle a été la genèse du SP2C ?

Laurent Uberti : C'est une démarche qui s'est faite dans le temps. Un certain nombre d'outsourceurs ont fait le constat que le marché des centres de contacts avait évolué et qu'il était donc normal et naturel que le syndicat qui était censé les représenter évolue également. C'est pour cela que le SP2C a pris la suite du SMT (Syndicat du marketing téléphonique, des centres d'appels et des médias électroniques), qui avait été créé en 1978. Avec pour idée de base de le recentrer sur ce qui était sa “marque de fabrique”, c'est-à-dire représenter les gestionnaires de centres de contacts externalisés. Mais, comme nous sommes sur un marché qui a connu des bouleversements, où chaque outsourceur vivait un peu dans son coin, où le fait de se regrouper pour parler d'une seule voix n'existait pas - il y avait même plutôt, en règle générale, des dissonances -, il fallait d'abord que ce syndicat soit vraiment représentatif.

Est-ce aujourd'hui chose faite ?

L. U : Oui. Le SP2C regroupe actuellement une trentaine de membres, qui représentent environ 80 % du secteur, dont les vingt premiers du marché. Et le mouvement se poursuit, puisque nous avons des adhésions en cours, sachant que le syndicat est ouvert aux sociétés plus petites, de province…

Comment êtes-vous organisé  ?

L. U : Le syndicat a un nouveau bureau (voir CA n° 58, p. 20, ndlr). Et nous avons mis en place une Commission Sociale, qui rassemble une dizaine de DRH de centres importants et moyens, présidée par Patrice Kaczmarek, DRH de Sitel France ; une Commission Communication, présidée par Maxime Didier, président de b2s, chargée de travailler sur tous les supports de communication du syndicat (Internet, plaquettes, communiqués de presse…), mais aussi concernant le secteur lui-même, et une Commission Secteur et Affaires économiques, chargée de regrouper toutes les données sur notre secteur et sur les entreprises de façon collective et d'agir en tant qu'observatoire. Trois commissions que nous avons voulues les plus opérationnelles, pragmatiques et efficaces possibles.

Quels sont vos grands axes de travail ?

L. U : Nous ne voulons pas trop nous disperser. Il faut d'abord faire un constat : notre secteur a connu des difficultés assez importantes, spécialement entre 2002 et 2004. Différents phénomènes ont eu des conséquences assez négatives : le contexte général de crise, la réduction des budgets des grands comptes, l'arrivée massive des directions achats, le développement de l'off-shore… qui ont entraîné une pression sur les prix. Et aujourd'hui, arrive l'automatisation qui va se développer de plus en plus sur les missions à faible valeur ajoutée, avec un modèle économique encore plus fort que celui de l'off-shore. La profession a été un peu prise entre le marteau et l'enclume, entre un contexte économique difficile et un contexte réglementaire fort au niveau de la législation sociale. Il était grand temps de se poser des questions. D'autant plus que notre secteur est en mutation. Sur les 25 premiers outsourceurs de 2002 et ceux de 2005, une bonne douzaine ont disparu. Notre objectif majeur est de rendre tous les acteurs de la chaîne responsables et d'essayer de trouver un modèle vertueux.

Qu'entendez-vous par “modèle vertueux” ?

L. U : Les acteurs doivent prendre en main leur secteur et leur futur. En s'adressant d'un côté aux clients, et de l'autre aux syndicats de salariés, avec, en arbitre au milieu, le gouvernement et ses différentes entités. L'objectif majeur du SP2C, c'est d'arriver à trouver une croissance vertueuse pour notre activité. Le développement de l'outsourcing, dont nous sommes une branche, paraît incontournable. Nos métiers deviennent de plus en plus complexes en termes de ressources humaines,de technologie… Il n'est pas rare de trouver aujourd'hui dans nos sociétés des ingénieurs télécoms, des X, des Centraliens… des profils auxquels on n'était pas habitué il y a dix-quinze ans. Nous gérons des bases de données, des systèmes d'information, des applications, nous sommes intégrateurs, développeurs… Nous sommes un vrai métier, qui rend un réel service à valeur ajoutée à ses clients qui ont tout intérêt à venir chercher notre expertise. De plus, et c'est une spécificité française, étant donné la lourdeur de la réglementation sociale, il est souvent tentant et confortable pour des grands comptes de transférer des problèmes de flexibilité, de cycles, de saisonnalité… auprès d'outsourceurs. C'est notre métier de savoir gérer la flexibilité, d'avoir de la souplesse. Mais, si nous sommes là pour gérer la problématique sociale, pour accompa­gner nos clients dans cette démarche, nous ne sommes pas là pour gérer le risque social. Parfois, certains clients sont tentés de mettre la poussière sous le tapis et nous, nous sommes un peu le tapis ; nos sociétés, contraintes, sont obligées d'être un peu sur la ligne rouge entre ce qui est légal, ce qui l'est moins… C'est une mauvaise chose. Il faut donner une maturité à notre secteur pour lui permettre de se développer de façon vertueuse. Donc trouver un bon équilibre auprès des donneurs d'ordres dans cette relation d'externalisation et trouver un équilibre avec les syndicats par rapport au maintien de l'emploi en France et à l'amélioration des conditions de travail.

C'est un cahier des charges assez lourd…

L. U : Oui, mais aujourd'hui, nous sommes obligés de faire cela. Tous les acteurs sont conscients que, pour continuer à maintenir les emplois en France, maintenir nos sociétés sur le marché, il faut trouver un équilibre. On est allé trop loin dans le cost cutting. Il faut trouver cet équilibre pour que tout le monde y gagne. Les donneurs d'ordres doivent y gagner des prestataires qui ont une pérennité, avec lesquels ils peuvent nouer des partenariats à moyen-long terme, y gagner de la qualité au niveau des prestations. Nous, avec des sociétés saines, nous aurons une meilleure capacité pour améliorer le confort, faire progresser nos salariés, en termes de formation, d'évolution de carrière, etc. Quand je m'adresse aux syndicats, aux donneurs d'ordres, je leur demande : “Trouvez-vous que le secteur des outsourceurs va bien ? Est-ce que les dix premiers gagnent de l'argent ?”. Globalement, la réponse est “non”, sur le marché français ils en perdent. Qui gagne de l'argent sur les dix premiers ? Très peu, quasiment personne. Nous n'avons pas vocation à faire 45 % de résultats avant impôts, mais si on avait un objectif de 8 à 10 % de rentabilité, je ne crois pas que ce serait d'une violence absolue. En tout cas, ce serait une très bonne nouvelle pour les salariés et les donneurs d'ordres. Nous avons un problème sectoriel, structurel, par rapport à cela. Il faut prendre ces questions à bras le corps et essayer de faire avancer tout le monde.

Avez-vous l'impression que vos clients sont conscients de cette situation ?

L. U : La plupart des grands comptes sont des gens intelligents. Ils sont allés au bout d'une logique de réduction des coûts. Ils en ont trouvé les limites. Et aujourd'hui, ils sont assez mûrs et assez désireux d'avoir des partenaires solides, capables de leur offrir de la visibilité et des prestations de qualité. Mais ce n'est pas à eux de faire le premier pas. C'est à nous de nous prendre en main. Et c'est pour cela que nous avons décidé de relancer la dynamique du syndicat professionnel. C'est à nous d'aller vers les donneurs d'ordres de façon homogène pour leur exposer notre point de vue, à nous d'aller discuter et réfléchir avec les syndicats.

Mais qui représente les donneurs d'ordres ?

L. U : Ils ne sont pas représentés par une seule entité, mais il existe des endroits pour les toucher. L'AFRC, par exemple, joue parfaitement un rôle de plate-forme transversale, de lieu d'échange. Ensuite, il existe des leaders d'opinion dans les Télécommunications, l'Automobile, la Banque, l'Assurance… Si l'on arrive à avoir des interlocuteurs, à mettre au point un certain nombre de principes avec eux, il n'y a pas de raison que l'ensemble du marché ne suive pas.

Et du côté organisations syndicales ?

L. U : Nous avons commencé à aller vers elles, à discuter. Il faut structurer la démarche. Aujourd'hui, rien n'a été fait de façon globale ; chaque entreprise gère au cas par cas sa problématique sociale et ses relations avec les organismes représentant le personnel. Notre logique est de dire : on peut fonctionner sur un mode gagnant-gagnant pour tout le monde. Si nous arrivons à développer des sociétés saines et équilibrées, nous aurons les capacités d'améliorer les conditions au sein de nos entreprises.

L'image de votre secteur reste cependant très dégradée…

L. U : Oui, et souvent du point de vue de l'image du salariat, des emplois. Notre secteur a une mauvaise image et c'est sûrement un peu de notre faute si nous n'avons pas su mieux communiquer. En revanche, il existe une caricature, une image d'Epinal du centre de contacts, qui est complètement à côté de la vérité. Aujourd'hui, dans la majorité des entreprises, la réalité sociale - avec une majorité d'emplois en CDI, par exemple - est bien différente de l'image que peut en avoir le grand public ou les médias. Et puis, j'ai envie de dire à ceux qui dénigrent notre secteur : allez voir dans d'autres secteurs comment ça se passe. Aujourd'hui, un conseiller clientèle a-t-il des conditions de travail aussi difficiles que dans la grande distribution, dans la restauration… ? Il faut tordre le cou à cette image d'Epinal. Il ne faut pas oublier que notre secteur est un secteur d'avenir, avec un vrai potentiel, que la relation client à distance crée de l'emploi. Nous sommes aussi un secteur qui favorise l'intégration des jeunes et souvent, en particulier dans les grandes villes, celle de jeunes issus de l'immigration, deuxième ou troisième génération. Nos sociétés sont des acteurs très pragmatiques, très concrets, de la réalité sociale. En province, beaucoup de centres de contacts ont pris le relais d'industries secondaires qui ont périclité et, dans beaucoup de villes moyennes, ce sont souvent les premiers employeurs. Tous les acteurs essayent de tirer le métier vers le haut, d'amener de la valeur.

Concrètement, que comptez-vous faire ?

L. U : Nous n'avançons pas sur tous ces sujets avec angélisme. Nous essayons de nous donner des axes très précis. Ce qui est déjà lancé, par exemple, c'est le Label de Responsabilité Sociale, à la création duquel nous avons ­activement participé et dont les premiers audits démarrent fin 2005. Ce Label s'inscrit complètement dans notre logique. Et il montrera que les sociétés qui l'ont obtenu ont atteint un niveau assez élevé en matière de pratiques sociales et d'organisation des ressources humaines. Et, derrière, il y a deux principes importants : l'obligation pour les sociétés labellisées d'avoir au moins 60 % de leurs effectifs sur le territoire national et l'obligation pour les donneurs d'ordres de renoncer aux pratiques des enchères inversées. Le Label Social ne résout pas tout, mais c'est une démarche et un outil très concrets pour commencer à faire avancer les choses sur le maintien de l'emploi en France - et sur la problématique de l'off-shore en général - et sur les procédures d'achat et d'enchères inversées. Le ministère de l'Emploi s'est engagé à ce que tout appel d'offres public se positionne vis-à-vis de ce Label. C'est un engagement fort. De plus, certains grands comptes nous demandent déjà dans leurs appels d'offres de nous positionner par rapport à ce Label.

Quels sont vos autres dossiers en cours ?

L. U : L'accord-cadre sur la formation, qui a également été lancé dans la sphère du ministère de l'Emploi et avec l'AFRC, et qui entend développer les formations diplômantes dans notre secteur, lui faire acquérir une meilleure visibilité auprès des jeunes et également améliorer la formation de nos salariés. Autre action : la Commission sociale va se mettre autour de la table avec les syndicats de salariés et le ministère pour réfléchir à une possible évolution de notre convention collective. Aujourd'hui, je ne sais pas sous quelle forme : une nouvelle convention ?, une amélioration de l'avenant de l'été 2002 ?… Nous allons réfléchir techniquement à la façon la plus intelligente, la moins lourde, la plus efficace possible de le faire. Avec un objectif très clair : avoir une convention collective qui accueille l'ensemble des acteurs et corresponde à la réalité, aux spécificités, de nos métiers. C'est un sujet de longue haleine. Actuellement, beaucoup d'outsourceurs appartiennent à des conventions collectives différentes. Nous nous donnons les deux prochaines années sur ce dossier.

Vous avez évoqué les enchères inversées. Quelle est votre position ?

L. U : C'est un sujet hautement symbolique. Pour nos métiers, c'est une aberration absolue. On ne doit pas jouer aux enchères les rémunérations de nos salariés. Cette pratique est un instrument de torture qui joue dramatiquement sur nos marges, qui s'ajoute à des process d'achat déjà extrêmement élaborés - avec appel d'offres, réponse à un cahier des charges, généralement audition orale puis notes techniques, etc. -, pour la plupart plutôt bien faits et vraiment compétitifs. On ne peut pas acheter des prestations de services, surtout avec une forte valeur ajoutée, comme on achète des barils de pétrole ou des sacs de ciment. Aujourd'hui, au sein du SP2C, la grande majorité, sinon la totalité, des outsourceurs sont contre cette démarche. Le Label Social en prend déjà la mesure, mais, le SP2C, de manière commune, va prendre en début d'année prochaine une position claire sur cette question. Aux donneurs d'ordres aussi de se positionner. On ne peut pas les forcer ; nous ne sommes pas là en donneurs de leçons. Nous disons juste que c'est une démarche qui n'est pas du tout adaptée à notre type d'activité. Le marché et beaucoup d'acteurs ayant connu des difficultés importantes, on en est arrivé à ce que certains, en perdition, fassent des propositions de taux horaires en France proches de ceux de l'off-shore. Tout le monde le sait et c'est inadmissible. Parce que ces entreprises n'ont aucune viabilité à moyen-long terme, que la situation sociale à l'intérieur de ces entreprises ne peut pas être bonne et que ce n'est pas un modèle économique qui fonctionne. Cela veut dire aussi que le client ne peut pas prétendre à une prestation de qualité et a de fortes chances de voir ces acteurs disparaître, quelle que soit leur taille, dans les mois, voire les deux ans qui suivent. Sur ce sujet aussi, il faut responsabiliser tous les acteurs de la chaîne.

Quel délai vous êtes-vous fixé pour l'aboutissement de vos chantiers ?

L. U : Nous avons les deux-trois prochaines années pour réussir à sortir de la situation dans laquelle nous sommes aujourd'hui, pour le bien de tout le monde. C'est une vision partagée par tous les acteurs, qu'ils soient très gros, internationaux, moyens, de province… Nous sommes sur un socle commun. Et c'est très bien que des concurrents directs réussissent à se mettre tous ensemble autour de la table. Cela montre qu'il existe une certaine maturité du secteur.

Quelle est votre position par rapport à l'off-shore ?

L. U : C'est une réalité de notre marché. Il ne s'agit pas de savoir si c'est bien ou mal, si l'on est pour ou contre. Il y a des prestations off-shore qui, comme le reste, peuvent offrir le meilleur ou le pire. C'est au client de savoir choisir les bons prestataires et ensuite de savoir pour quel type d'activité. Nous, nous pensons qu'il faut essayer de trouver un bon équilibre entre les prestations réalisées en France et celles à l'off-shore. Ceci dit, il ne faut pas avoir honte de nos convictions qui sont de maintenir et de développer l'emploi sur le territoire français, même si certains de nos membres sont présents en off-shore. Nous avons une conviction citoyenne par rapport à cela. Et nous croyons que l'on peut trouver un équilibre intelligent.

Comment jugez-vous l'évolution actuelle du marché ?

L. U : Après deux années très moroses, puis une stabilisation en 2004, il y a un certain redémarrage depuis le premier semestre, voire depuis début septembre. Il existe un potentiel de croissance qui s'offre à nous avec le développement de tout ce qui est Internet,… et l'ouverture de marchés qui se libéralisent comme celui de l'énergie.

Le secteur des outsourceurs va-t-il continuer de se concentrer ?

L. U : Dans les deux prochaines années, on va encore assister à une recomposition du marché. Les opérations de consolidation vont se poursuivre. Certaines vont faire du sens au niveau économique, d'autres seront la conséquence de situations spécifiques difficiles.

Finalement, êtes-vous optimiste ?

L. U : Oui, plutôt. En tout cas plus qu'il y a un an, un an et demi. Parce que je crois profondément au potentiel de ce secteur et que, même si nous en sommes aux prémices, tout le monde, à tous les bouts de la chaîne, se rend compte qu'il est temps de responsabiliser le secteur, de le faire grandir, de lui donner de l'air.

Biographie

DLaurent Uberti 33 ans. Sup de Co Nice - Ceram. Fondateur et P-dg d'Acticall depuis 1995. Président du SP2C depuis mars 2005.

 
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Propos recueillis par François Rouffiac

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