[Enquête] Le papier reste-t-il incontournable dans la communication avec le client ?
Dans un contexte de contraintes économiques croissantes et de défis environnementaux toujours plus présents, la communication au format papier tend à reculer lorsque les marques s'adressent à leurs clients ou prospects. Le point sur les usages qui persistent et les compléments qui peuvent être apportés grâce au digital.
Je m'abonneAvec l'essor du mobile, des réseaux sociaux ou encore des messageries instantanées, les marques ont vu, ces dernières années, les canaux d'interaction avec leurs clients et prospects se multiplier. Ainsi, les échanges se font de plus en plus de façon directe, dématérialisée et dans une approche conversationnelle. Le format papier, quant à lui, a longtemps été choisi pour envoyer des imprimés publicitaires en masse dans les boîtes aux lettres mais aussi des courriers adressés, plus confidentiels et personnalisés.
Or, le contexte actuel vient bousculer ces habitudes. Les marques cherchent à limiter les coûts en maximisant la rentabilité de chaque action marketing. Leur motivation est aussi d'ordre écologique car l'utilisation du papier est régulièrement pointée du doigt comme étant plus polluante que les campagnes digitales.
« Le courrier, et plus généralement le format papier, souffre d'une image de média à fort impact écologique. Pourtant, cela ne se vérifie pas dans de nombreux cas d'usage. Il y a donc un vrai travail pédagogique à accomplir par l'ensemble des acteurs de la filière pour montrer qu'utiliser du bois n'est pas automatiquement synonyme de déforestation et pour rappeler que le papier est la matière la mieux recyclée en Europe (70 % des volumes) », commente Éric Trousset, directeur des relations externes de la BU Media chez La Poste.
Une stratégie « zéro papier » en progrès
Plusieurs marques ou grands groupes se sont engagés dans une diminution drastique de l'utilisation du papier, tant dans leurs actions promotionnelles que dans les communications menées dans le cadre de la relation client ou encore celles liées à l'expérience avec la marque, que ce soit en magasin, dans les hôtels ou même dans les colis reçus. Par exemple, le groupe
Accor souhaite limiter son empreinte carbone et son impact sur la planète : il a ainsi lancé plusieurs initiatives durables dans ses hôtels dont certaines visent à limiter voire arrêter complètement l'utilisation de papier. « Nos communications clients se font à présent presque exclusivement via les canaux digitaux et nous repensons également les outils plus traditionnels dans les chambres comme le livret qui présente tous les services proposés par l'hôtel et qui est en cours de digitalisation : à date, environ un tiers de nos hôtels en France sont équipés d'un "room directory digital". » Cette transformation permet d'ailleurs à Accor de s'assurer que les contenus poussés aux clients sont toujours à jour, l'accès se faisant par un QR code. Différents partenaires l'accompagnent sur le sujet comme Skeat, Tasty Cloud ou encore 2ROOMZ. En revanche, certaines modalités légales et administratives impliquent de garder des exemplaires papier comme la présentation des tarifs ainsi que le support en chambre qui informe les clients de la gestion du linge de lit et de toilette. « Ce sont des éléments exigés par la classification hôtelière », confirme Antoine Dubois, SVP Marketing & Expérience client Accor Europe et Afrique du Nord.
Même démarche du côté de Blissim, spécialiste de la beauté. « Nous avions l'habitude de mettre un livret dans chaque box personnalisée pour permettre à nos abonnées de découvrir le détail et la composition des produits reçus. Après plusieurs tests, nous avons décidé, en début d'année, de supprimer ce support au profit d'un flyer unique doté d'un QR code qui redirige vers une version digitale de ce document. Nous utilisons encore toutefois le format papier lors de nos grands temps forts, dont les fêtes de fin d'année, avec la création d'un magazine dédié à notre collection de Noël, car cela reste un moyen privilégié de capter plus efficacement l'attention de nos abonnées », explique Amandine Perot, CMO de Blissim.
Quelle place pour le prospectus publicitaire ?
Concernant les imprimés sans adresse (ISA), force est de constater une même tendance à la suppression du format papier au profit de la digitalisation. Preuve en est, les annonces successives d'enseignes quant à l'arrêt de l'envoi de leurs prospectus promotionnels en boîtes à lettres... La dernière en date a été faite par E.Leclerc au moment de la rentrée scolaire. Avec cette action, l'enseigne de la grande distribution ambitionne d'économiser jusqu'à 50 000 tonnes de papier par an. Le dispositif "OUI Pub" lancé l'année dernière à titre d'expérimentation sur 14 territoires pousse également les enseignes à trouver des alternatives digitales. « Sur le premier trimestre 2023, les catalogues publicitaires représentent 109 M€, soit un repli de 12,4 % en comparaison de 2022 et une baisse de 25,2 % par rapport à 2019. Or, 77 % des enseignes déclarent vouloir diminuer leur budget papier sur les 12 prochains mois », indique Laurent Landel, président de Bonial France, spécialiste des catalogues promotionnels en ligne, citant des chiffres issus du baromètre unifié du marché publicitaire et de la communication (BUMP) pour 2023.
Toutefois, l'imprimé publicitaire reste un média apprécié des Français. Ainsi, 56 % déclarent ressentir du plaisir à le recevoir et même 76 % disent que sa lecture constitue un moment de détente (source : Balmétrie 2023). Ce n'est donc pas tant l'arrêt des catalogues promotionnels qu'une bascule, plutôt vers de nouveaux modes de diffusion dématérialisés : « Dans l'environnement Meta par exemple, nous proposons trois types de solutions pour amplifier la visibilité des promotions de nos clients : une photo du catalogue diffusée sur Instagram ou Facebook, qui renvoie ensuite vers la liseuse sur le site ou l'application de l'enseigne ou bien la diffusion du catalogue via WhatsApp ou encore les Instant Experiences, où un extrait de promotions personnalisé est présenté via un "mini-site natif" directement dans le fil d'actualité Facebook ou Instagram de l'utilisateur », détaille Guillaume Cavaroc, Retail & E-commerce director France pour Meta. Les enseignes se mettent alors à proposer leurs catalogues directement sur leur site internet, dans leur application mobile ou encore sur des agrégateurs promotionnels web et mobiles comme Bonial. Des initiatives qui correspondent aux usages puisque, selon une récente étude menée par Bonial, 75 % des Français déclarent consulter désormais les prospectus et catalogues publicitaires en version numérique.
Que restera-t-il dans nos boîtes aux lettres ?
« Chez JouéClub, nous envoyons le catalogue à une sélection de clients fidèles au moment de Noël. Nous envoyons également une lettre de Noël associée qui annonce la sortie du catalogue sur certaines zones en complément ou en compensation sur les territoires Oui Pub. Le tout accompagné d'un bon de réduction. C'est bien reçu car cela reste un usage ponctuel. Adresser le catalogue est un acte important car cela participe au rituel de nombreux d'enfants qui entourent et découpent les jouets demandés ensuite au Père Noël », nous confie Franck Mathais, porte-parole de JouéClub.
Le courrier constitue donc toujours un moyen de communication privilégié pour capter plus facilement l'attention face à la pléthore d'e-mails reçus chaque jour. C'est aussi l'opportunité d'être dans un registre plus émotionnel, où l'on va montrer de l'attention et de la considération à ses clients. Il est utilisé pour s'adresser à tout ou partie de sa clientèle. Néanmoins, ce sont les meilleurs clients qui sont ciblés en général dans une logique de valorisation ou bien, à l'inverse, il peut s'agir des clients que l'on n'arrive plus à toucher via le digital et qu'on tente ainsi de reconquérir. « Le courrier est un média choisi, c'est-à-dire que le destinataire fait le choix de lire certains courriers parmi ceux reçus dans sa boîte aux lettres, où et quand il veut. Cela crée un contexte vraiment propice pour les marques », complète Éric Trousset. Certaines enseignes continuent donc à envoyer des lettres à leurs clients, à l'instar d'Yves Rocher qui a fait de sa "Jolie Carte", un rituel de marque, qui offre réductions et petits cadeaux à l'occasion de marronniers tels que l'été, Noël ou encore de l'anniversaire de la cliente. C'est
aussi le cas des associations, qui privilégient le courrier adressé pour effectuer des campagnes sensibilisation et recruter de nouveaux donateurs. « De notre côté, nous continuons d'utiliser le support papier pour l'envoi de bons de réduction lorsque les clients ne souhaitent pas des bons digitaux par email », précise Claire Luquet, directrice marque Casino et du marketing. « Le courrier n'est donc pas un média du passé et reste largement utilisé pour des opérations spéciales », observe Éric Trousset.
Vers une hybridation des dispositifs médias
La Poste teste actuellement une solution novatrice qui consiste à connecter le courrier dans les outils de marketing automation, ouvrant ainsi la voie à la possibilité d'activer une campagne print quasiment de la même façon qu'une campagne email. « Le CRM pourra ainsi, dans un futur proche, combiner des solutions print et digitales à partir d'un même outil », note Éric Trousset. Du côté des marques, cette hybridation des plans média se traduit par une complémentarité dans l'activation du digital et du papier. Il arrive ainsi à Casino de maintenir le contact en boîtes aux lettres avec un format réduit de prospectus. Le distributeur propose une expérience complémentaire augmentée en digital, avec davantage de pages. « Plusieurs études déclaratives montrent que les destinataires sollicités par courrier vont procéder de plus en plus ensuite à des recherches en ligne. La stratégie digitale doit, par conséquent, être bien alignée avec la campagne print », recommande Éric Trousset.