Portugal : challenger en mal d'image
Multilinguisme généralisé, faibles coûts salariaux, infrastructures télécom en pointe, réelle qualité de vie... Les atouts du Portugal ne manquent pas. Et les premiers contrats internationaux le prouvent. Mais Lisbonne devra encore déployer des efforts en matière de communication pour figurer comme l'un des acteurs de référence sur la place européenne.
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« Avant la récente ouverture du marché à la concurrence, le prix des
télécoms était trop élevé pour permettre un réel développement de l'activité
des call centers, remarque Mario Freitas, directeur du développement de l'ICP,
l'autorité de régulation des télécoms au Portugal. Aujourd'hui, alors que
Portugal Telecom conserve 85 % de parts de marché, les prix sont encore un peu
élevés, mais ont déjà chuté de 20 à 25 %, et jusqu'à 50 % pour l'international.
» L'international, c'est justement le terrain sur lequel le Portugal
revendique sa place, légitimée de tous côtés par le multilinguisme reconnu de
la population. A Lisbonne, en effet, chacun, pour peu qu'il ait fait quelques
études, parle deux à trois langues. C'est cet argument que les promoteurs du
Portugal, et notamment l'Icep, entité dédiée au développement économique du
pays, mettent en avant pour faire venir les entreprises. « Outre le
multilinguisme, le Portugal bénéficie également d'une infrastructure télécom
très en pointe, puisque près de 90 % du réseau est numérisé. Le coût de la
main-d'oeuvre est également parmi les plus faibles d'Europe. Et puis, la
qualité de vie ici n'est plus à démontrer », avance Octavio Pereira Santos, en
charge des investissements internationaux à l'Icep. Et Horacio Negrao,
responsable de l'activité outsourcing d'Arthur Andersen, d'ajouter : « En
termes de coûts d'implantation, si l'on regarde les villes d'Europe, seule
Prague est mieux placée que Lisbonne ». Comment se fait-il, dès lors, que
Lisbonne ne soit pas connue comme l'une des références en matière
d'implantation de centres d'appels ? Et que le Portugal ne soit que rarement
cité comme l'un des marchés européens ?
Un marché qui double chaque année
Le problème du Portugal, incontestablement, est son
image, ou plutôt son manque d'image. Une situation périphérique, pour un petit
pays que l'on considère souvent comme une "banlieue" pittoresque de l'Espagne.
Et pourtant, le marché des centres d'appels, en termes d'effectifs impliqués,
double chaque année. Des effectifs qui se partagent entre de petites structures
et les grands plateaux de la téléphonie. Avec 1 000 téléconseillers, environ 3
000 postes de travail répartis sur quatre centres dans le pays, le "118"
(équivalent du "12" en France), constitue le plus important centre d'appels du
Portugal. Quant à TMN, opérateur en téléphonie mobile filiale de Portugal
Telecom, il traite environ un million d'appels par jour sur l'ensemble de ses
trois centres, bientôt connectés en réseau virtuel. Si les centres d'appels se
développent, les prestatiares et fourniseurs ne manquent pas d'inverstir le
marché. Et consacrent une partie de leur temps à éduquer les responsables
marketing ou les chefs d'entreprise aux mécanismes d'exploitation des call
centers. « Depuis quelques mois, on constate un éveil réel aux besoins et
contraintes induits par la mise en place de services clients », souligne Gomes
Mota, président de GM Tel, intégrateur spécialisé dans l'équipement des
plateaux. Déjà, explique-t-il, le marché portugais, en matière de conseil et
d'intégration, est sérieusement disputé par des acteurs de plus en plus
nombreux. Et ici comme ailleurs, la concurrence peut vite se retourner vers des
partenariats ponctuels, avant de retomber dans la compétition. GM Tel, qui
emploie une douzaine de personnes, a été créé il y a un an et demi. Avec,
aujourd'hui, l'ambition de signer des accords avec les principaux fournisseurs
du marché. « Mais pas tous car, à côté de sociétés comme Andersen Consulting,
nous sommes trop petits », précise Gomes Mota. Pourtant, même "petit", GM Tel
cible les gros projets. Ce qui, au Portugal, correspond à des structures de 40
postes minimum. Pour l'heure, l'intégrateur compte à son actif une dizaine de
clients, parmi lesquels TMN, filiale de Portugal Telecom pour l'offre en
téléphonie mobile. GM Tel, qui a travaillé à l'installation des trois centres
de l'opérateur, a été sollicité dans le cadre d'un contrat d'assistance 7j/7 en
24/24h, qui sera effectif lorsque les plateaux de TMN seront organisés en
centre d'appels virtuel. Mais, de manière plus prospective, déploiement du
marché oblige, il n'est pas exclu que l'intégrateur se soumette à un mouvement
"naturel de concentration" et rejoigne un jour une société plus importante. «
Nous avons identifié l'activité centres d'appels comme un axe de développement
pour le Portugal dans années qui viennent. Notre objectif : cinq gros projets
dans les cinq ans », signale Jose Lima Raposo, responsable chez Arthur Andersen
d'une activité CRM qui compte une douzaine de consultants. En juin dernier,
l'Icep annonçait que le groupe Alcatel avait finalement choisi le Portugal
contre l'Irlande pour l'implantation de son centre d'assistance technique
destiné au marché mondial. Un investissement de près de 10 millions d'euros
pour le groupe Français. Mais, en deçà des projets internationaux, Lisbonne
accueille bien sûr les centres de contacts d'entreprises locales.
L'établissement financier portugais Banco Espirito Santo a créé en son sein une
activité centre d'appels, sous la marque ES Contact Center, et qui emploie déjà
quelque 500 téléconseillers, pour un trafic global de 12 000 à 15 000 appels
par jour, dont 55 % traités par serveur vocal interactif. Trois plateaux à
finalité interne, notamment pour le traitement des contacts clients de la
banque, ainsi que pour la prise en charge des relations client d'une compagnie
d'assurance filiale de Banco Espirito Santo. Mais ES Contact Center a
également développé une activité d'outsourcing exploitée sur deux plateaux
distincts. « Nos plateaux internes sont déjà équipés des technologies les plus
en pointe. Nous sommes en train de choisir la solution technologique pour notre
pôle outsourcing : CTI, SVI, logiciels de CRM et de web call center. Ce qui
devrait faire la différence avec une offre locale d'outsourcing plutôt sous
équipée. D'ici le premier semestre 2001, tout sera installé », signale Pedro
Champalimaud, sous-directeur du département banque directe et e-business.
Le premier outsourcer local racheté par Téléperformance
La stratégie d'ES Contact Center exprime bien le développement local d'un
marché où l'outsourcing devrait prendre une place importante. Et si les
outsourcers patentés ne sont pas si nombreux que cela, ils se voient de plus en
plus directement concurrencés par des entreprises qui, à côté de leur propre
service clients, lancent une activité d'externalisation à destination de
sociétés tierces. Se présentant comme le premier outsourcer au Portugal devant
Sitel, Telebanco, TAS ou Eastécnica, Plurimarketing a été racheté début 2000 à
65 % par Téléperformance. La société ne détonne pas dans la norme du groupe
français en matière d'aménagement des locaux. Pour répondre à une forte
croissance, l'outsourcer, qui va passer de 250 à 350 positions de travail à la
fin de l'année, va même jusqu'à aligner des boxes dans une salle dénuée de la
moindre lumière naturelle. « Le rachat a pour l'instant une signification
purement financière. Mais il devrait nous être profitable en termes de
standards de formation, de même que dans le domaine des études, où nous ne
sommes pas très forts », remarque Luiz Quaresma, directeur de Plurimarketing.
Actuellement, l'outsourcer emploie 1 000 personnes, avec un turn-over de 5 %
par mois, et compte des clients dans le monde des télécoms (Portugal Telecom),
de la banque et de l'assurance, mais aussi dans l'agroalimentaire (Coca-Cola).
« Aujourd'hui, nous n'excluons pas de faire appel à un outsourcer. Mais nous
conserverons toujours la totale maîtrise du back-office », explique Joao
Carriço, responsable du centre d'appels de Jazztel. Cet opérateur, spécialisé
dans la fabrication et la mise en place de fibres optiques pour la connexion de
réseaux, est, à ce titre, concurrent de Portugal Telecom. En août dernier,
l'entreprise comptait une centaine de clients entreprises. Pour sa prospection
et sa fidélisation, Jazztel a mis en place un certain nombre de lignes
téléphoniques : l'une destinée aux particuliers, l'autre aux professionnels,
une troisième pour le réseau de distribution, et enfin une dernière à
l'intention des ventes indirectes. A quoi s'ajoute également un service de
back-office. Le tout équipé d'ACD Lucent technologies et de solutions Vantive
pour le CRM et le CTI. Au total, les différents plateaux disséminés sur les 7
000 m2 du bâtiment portuaire de l'opérateur emploient 150 personnes.
Essentiellement des étudiants.
La vacation fait force de loi
Les call centers au Portugal sont confiés, dans leur très
grande majorité, à des étudiants ou, en tout cas, à des vacataires. Et ce, même
dans le cas de services clients à plus forte valeur ajoutée. Novis, opérateur
de téléphonie fixe (détenu au tiers par France Télécom), constitue une bonne
illustration de la manière dont les ressources humaines sont gérées sur les
centres d'appels au Portugal. En effet, pour animer son service client, qui
emploie 250 personnes, Novis s'en remet totalement à une société de travail
temporaire, Egor. De même, l'opérateur fait appel à Vedior pour ses effectifs
en télémarketing. En fait, seuls les fonctions de supervision (un encadrant
pour 15 agents) sont internalisées. Mais les effets d'un recours exclusif à des
vacataires et à des étudiants ne sont pas sans conséquences. En l'occurrence,
un absentéisme qui va de 10 à 20 % (en fonction des périodes d'examen), et un
turn-over important. « Je suis parfaitement consciente que c'est parce qu'ils
ne sont pas intégrés que les téléconseillers ne restent pas. Mais je sais aussi
que si nous les intégrons, nous connaîtrons d'autres difficultés, et pas des
moindres, comme la gestion des carrières. Par ailleurs, paradoxalement, les
intérimaires ont chez nous des avantages que les personnels intégrés n'ont pas
», affirme Rita Marques, directrice du service clients. Bref, pour l'heure,
Novis investit d'autant plus dans la formation que les sessions initiales (un
mois) connaissent une courte périodicité. Et l'opérateur fait ce qu'il peut
pour fidéliser ses troupes au maximum. Comme le fait de concéder aux étudiants
une période de totale liberté pour la préparation de leurs examens, en
contrepartie de quoi ces derniers s'engagent à retourner travailler sur le
centre de contact une fois les épreuves passées. Comme, également, la mise en
place d'incentives financières par équipe. Ou encore comme l'instauration de
postes de plus en plus polyvalents : traitement des appels, des mails, du front
et du back-office). Mais les difficultés de recrutement pourraient bien
devenir le pendant d'une croissance très rapide du marché. Au sein de
l'activité call center de Banco Espirito Santo, le problème se fait déjà
ressentir et le taux de turn-over atteint les 10 %. Selon une étude menée par
Arthur Andersen pour le compte de dix entreprises, il faut trois semaines pour
recruter une équipe de téléconseillers, cinq semaines pour le middle management
(superviseurs) et huit à dix semaines pour l'encadrement. « Télévente mise à
part, l'image des centres d'appels est bonne, très bonne même. L'activité est
associée à des postes nobles, liés aux nouvelles technologies, note Nuno Matos,
consultant chez Vedior PsicoForma. Et, s'il n'est pas difficile de recruter, il
est déjà difficile de recruter de bons éléments. » Adecco et Vedior PsicoForma
s'intéressent à cette activité depuis 1995.
Très bonne image pour les centres d'appels
Chez Vedior, le département compte 15
personnes. Adecco compte 2 000 personnes dans sa base, dont environ 300 en
activité permanente. « Au Portugal, le taux d'intégration des intérimaires dans
les services clients est très faible. Nous travaillons sur la base de CDD de un
mois à un an, mais qui ne débouchent que très rarement sur une embauche »,
remarque Homero Silveira, responsable de l'activité centres d'appels d'Adecco.
Mais, semble-t-il, l'activité se développe plutôt bien, sur la base d'une
gestion des ressources humaines n'ayant manifestement pas intégré la
fidélisation du personnel. Sans doute l'acceptation d'un pareil système
est-elle en partie due à une politique salariale acceptable pour les
conseillers. Sur les plateaux internes de Banco Espirito Santo, les salaires
des téléconseillers sont les mêmes que ceux des agents du réseau. En revanche,
la rémunération des superviseurs est moindre que celle du premier niveau
d'encadrement en agences. « Nous restons un prestataire de service dédié à la
banque. Et comme tel, nous devons avoir une politique salariale propre et
compétitive », souligne Pedro Champalimaud, sous-directeur du département
banque directe et e-business. « De manière générale, les salaires ne sont pas
très élevés, avance Homero Silveira, responsable de l'activité centres d'appels
d'Adecco. Mais on ne peut pas dire que les téléconseillers soient mal
rémunérés. Le métier ne connaît d'ailleurs pas de conflits sociaux. Ici, on
raisonne en fixe. Le variable n'est pas apprécié. Peut-être parce que l'on
n'aime trop pas prendre de risques. » Reste que le Portugal, pour figurer dans
le cahier des charges des grandes entreprises désireuses de trouver
implantation à leur centre d'appels paneuropéen, devra sans doute faire montre
d'un certain goût du risque, en tout cas d'une ambition plus fréquemment
relayée.
Altitude Software, prophète en son pays
Altitude Software (ex-Easyphone), société lisbonnaise créée au début des années 90, détient 70 % du marché des centres d'appels au Portugal. Mais l'éditeur de solutions pour centres d'appels, qui a réalisé en 1999 un chiffre d'affaires de 15 millions d'euros (soit trois fois plus qu'en 1997) est aussi l'une des plus belles success stories locales. Avec 40 % des ventes réalisées en Europe, 40 % en Amérique du Sud et notamment au Brésil, et 20 % aux Etats-Unis, Altitude Software est aujourd'hui présent dans 36 pays. Après Dubaï et l'Arabie Saoudite, prochaines implantations prévues : le Pologne, l'Italie, l'Afrique du Sud, Hong-Kong. « Nous avons été les premiers à proposer une solution intégrant complètement la téléphonie et l'informatique, avec une technologie compatible Web. Ce qui explique notre croissance de 120 % », souligne Carlos Quintas, P-dg fondateur d'Altitude Software. Les technologies Easyphone sont de fait archiprésentes à Lisbonne. PT Prime, filiale de Portugal Telecom spécialisée dans le conseil et l'implémentation de call centers, a passé avec l'éditeur de solutions globales et compatibles web pour centres d'appels un accord de partenariat plus qu'impliquant : « Nous préconisons exclusivement les technologies Altitude Software », reconnaît Alexandre Coelho, responsable du développement. Qui ne voit pas pour autant dans cet état de fait l'aveu d'une restriction partiale de l'offre PT Prime. Aujourd'hui, la société, qui n'a qu'un peu plus d'un an d'âge, emploie 700 personnes, dont 300 commerciaux et compte des clients parmi les grandes banques portugaises, les acteurs de la sphère des télécoms (dont British Telecom sur deux de ses centres d'appels), les assurances, ou encore les loueurs de véhicules.
PriceWaterHouse choisit Lisbonne
Un centre à Varsovie pour l'est de l'Europe, un autre à Rotterdam pour l'Allemagne, la France et le Benelux, un troisième à Londres pour la Grande-Bretagne et le nord du continent. Dans ses visées expansionnistes, il manquait à PriceWaterHouse Coopers un pôle régional susceptible d'abriter ses activités CRM pour le sud de l'Europe. Trois pays sont en lice : l'Espagne, le Portugal et, plus en retrait, l'Italie. « Le Portugal l'a emporté pour trois raisons : un bassin d'emploi intéressant, un multilinguisme généralisé, des coûts d'implantation et d'installations moins élevés », explique Matthew Walker, consultant chez Healey & Baker, société spécialisée dans la mise en oeuvre de projets d'implantation, depuis la recherche du terrain jusqu'au recrutement des effectifs, en passant par la construction. Le cahier des charges de PriceWaterHouse Coopers était dans les grandes lignes le suivant : un bâtiment bien situé, bien desservi par les transports publics, et situé dans un environnement vivant, habité et marchand. Healey & Baker, consulté par le cabinet conseil pour faire une proposition immobilière, cherche durant trois mois avant de proposer un immeuble lisbonnais construit dans les années 70, une galerie commerçante désaffectée : vastes espaces, possibilité d'aménagement des plateaux, situation centrale. L'activité de PriceWaterHouse Coopers devait débuter dans ce bâtiment dès le début du mois de septembre, avec comme premier client le pétrolier BP. A terme, 200 personnes travailleront sur ce centre sud-européen. PriceWaterHouse Coopers aurait investi quelque 30 millions de francs dans ce projet.